Bloc 4 – Normes et biais sociaux : la grossophobie et la colère

[grrrrrrcht] Hey! Allô! [grrrrrcht] Moi aussi j’ai des choses à dire!

Le quatrième bloc de la saison sur les normes et biais sociaux ne pouvait qu’inspirer plusieurs réflexions sur la grossophobie et la colère dont il a été question. Tournons-nous vers l’art de la bande-dessinée et la pensée de l’incontournable Audre Lorde pour aiguiser notre compréhension de ces enjeux.

La grossophie en bande-dessinée : La grosse laide

L’épisode 7 est venu mettre en lumière comment les normes d’apparence liées au poids dans notre société sont omniprésentes et sérieusement violentes pour chacun∙e d’entre nous. La grossophobie agit comme violence envers soi, mais aussi envers les autres, à travers une foule de biais semi-conscients que nous ne devons tarder d’éradiquer.

Pour ce faire, je conseille à toustes la lecture de la bande-dessinée La grosse laide de Marie-Noëlle Hébert, publié en 2019 aux éditions XYZ. Cette œuvre encensée est d’une honnêteté désarmante, dévoilant l’expérience personnelle de la grossophobie, aussi souffrante soit-elle. Son dessin est d’une précision impressionnante. Sa publication est un acte de courage. Sa lecture est une expérience expiatoire et purificatrice.

Revenir à Audre Lorde pour réfléchir à la colère et autres émotions

L’épisode 8 traite du droit à la colère à l’ère où l’on en discrédite l’usage et l’expression, surtout par les membres de communautés marginalisées. Afin de mieux comprendre l’intrication du sexisme et du racisme autour de la question de la colère, revenons aux nécessaires réflexions de la poète et intellectuelle Audre Lorde sur la question des émotions.

Il faut d’abord rappeler où se situe la colère dans l’ontologie dichotomique et hiérarchique occidentale. La colère est une émotion, s’opposant ainsi à la sacro-sainte raison, qui définit l’humain, bien évidemment conceptualisé autour de l’homme blanc. L’émotion est l’alter de la raison, elle est bestiale, incontrôlable. Elle a longtemps été considérée comme féminine. Audre Lorde nous dit :

 « The white fathers told us: I Think, therefore I am[1]. The Black mother within each of us – the poet – whispers in our dreams: I feel, therefore I can be free. Poetry coins the language to express and charter this revolutionary demand, the implementation of the freedom. »[2]

Pour atteindre la liberté, dit-elle, il faut ressentir. La libération passe à travers l’émotion et la principale émotion révolutionnaire est la colère.

« Chaque femme possède un arsenal de colères bien rempli et potentiellement utile contre ces oppressions, personnelles et institutionnelles, qui ont elles-mêmes déclenché cette colère. Dirigée avec précision, la colère peut devenir une puissante source d’énergie au service du progrès et du changement. Et quand je parle de changement, je ne parle pas d’un simple changement de point de vue, ni d’un soulagement temporaire, ni de la capacité à sourire ou à se sentir bien. Je parle d’un remaniement fondamental et radical de ces implicites qui sous-tendent nos vies. »[3]

La colère est à distinguer de la haine, qui n’est que « fureur de celles et de ceux qui ne partagent pas nos objectifs, et [qui] a pour but la mort et la destruction. »[4] La colère a pour objectif le changement.

Pourquoi la colère des femmes racisées est ainsi dévalorisée, notamment par les personnes en situation de privilèges qui n’y voient qu’une attaque envers elles? Car la culpabilité vient annihiler la solidarité possible – émotion forte, soit, mais paralysante pour toutEs. Audre Lorde nous dit :

« Trop souvent, la culpabilité est l’autre nom de la faiblesse, l’autre nom d’une réaction défensive qui détruit toute communication; elle devient stratagème abritant l’ignorance et perpétuant les choses telles qu’elles sont, rempart ultime contre tout changement. »[5]

Ainsi, écoutons la colère, exprimons la colère, valorisons la colère et canalisons la colère vers la justice et l’égalité.

Encore une fois, écrivez-vous pour nous partager vos réflexions et suggestions!

Par Ève-Laurence Hébert (elle) | Coordonnatrice toutEs ou pantoute


[1] « Je pense donc je suis » : le rationalisme de Descartes – cette valorisation de la raison comme caractéristique qui crée l’humain (ou l’homme à l’époque).

[2] Audre Lorde, 1984, “Poetry is not a luxury”, Sister Outsider, Trumansburg, Ny: Crossing Press, p. 37-38

[3] Audre Lorde, 2003, «The Uses of Anger: Women Responding to Racism», Sister Outsider – essais et propos d’Audre Lorde sur la poésie, l’érotisme, le racisme, le sexisme, éditions Mamamélis.

[4] Ibid.

[5] Ibid.