Éthique antispéciste et science-fiction

Humain∙es de compagnie sur des planètes lointaines ou bêtes de zoo prises au piège dans un monde extraterrestre, pourquoi est-il si malaisant de projeter l’humanité assujettie à des intelligences supérieures brimant le contrôle de ses corps? Ce malaise émane-t-il d’un parallèle trop évident avec notre réalité et d’une autocritique de soi? Durant la saison 2, on a longuement discuté de science-fiction avec la slameuse Leïla Sofiane et en plus de ça on a philosophé avec Christiane Bailey sur le spécisme, l’éthique animale et le féminisme. Parce que toutE est dans toutE, est-ce que la science-fiction peut nous amener à prendre conscience de notre rapport de domination envers les autres animaux? Pour poursuivre nos réflexions, voici deux excellentes œuvres de science-fiction ayant en arrière-plan une éthique antispéciste qui vous feront voir différemment le tendre regard de votre poisson rouge : une incontournable de l’afrofuturisme féministe et un classique du cinéma d’animation.

Dawn, Octavia E. Butler (1982) : incontournable de l’afrofuturisme féministe

Incontournable du courant afrofuturiste et de la littérature de science-fiction critique, Octavia E. Butler est une autrice afro-américaine qui a écrit nombre de livres marquants que les amateur∙rices de romans d’anticipation ont tardé à découvrir. Alors que Kindred nous a plongé dans l’horreur de l’esclavage à travers le voyage spatio-temporel et que la série en deux tomes des Paraboles nous a inquiété par ses prédictions fictivement imminentes d’une crise climatique, politique et sociale, Dawn est le premier d’une trilogie qui explore la reprise d’un monde post-apocalyptique par une poignée d’humain∙es sauvé∙es par des extraterrestres.

Quelque part entre rats de laboratoire et colons dépossédés, les humain∙es ayant survécu à une guerre nucléaire dévastatrice se retrouvent prisonnier∙ères d’un nouveau destin décidé par les Oankali : celui de recréer une civilisation terrestre, génétiquement modifiée et sans hiérarchie. Si le projet est radical, son implantation est oppressive et se fonde sur un retrait de l’indépendance humaine, de l’autonomie individuelle et du consentement. Emprisonnée, étudiée, opérée, surveillée, exposée, Lilith Iyapo, qui guide l’aventure du roman, prend rapidement conscience de son état de dominée :

« This was one more thing they had done to her body without her consent and supposedly for her own good. ‘’We used to treat animals that way,’’ she muttered bitterly.
‘’What?’’
‘’We did things to them – inoculations, surgery, isolation – all for their own good. We wanted them healthy and protected – sometimes so we could eat them later.’’ »

Le roman pousse à d’importantes réflexions sur notre humanité et nous place devant de multiples paradoxes. Il accomplit son rôle philosophico-ludique si cher à la science-fiction. Une des questions qu’il évoque : est-ce que l’humain∙e doit être aussi vulnérable que les autres animaux pour prendre conscience de sa tendance à la domination spéciste?

La planète sauvage, René Laloux (1973) : notre domination n’est qu’une question de taille

Moins complexe et inclusif que la littérature de Butler dans ses représentations, mais tout de même fascinant de par son esthétique et sa musique, ce classique film d’animation de 1973 mérite notre attention. La Planète sauvage de René Laloux place les humain∙es dans une position d’infériorité physiologique : aussi petit∙es que des souris, iels sont source d’amusement pour les Draag qui en font leurs animaux de compagnie. Les enfants Draag se complaisent dans l’entretien de leurs petits humanoïdes et agissent comme le miroir de notre comportement envers les animaux avec qui nous partageons nos logis. Aussi intelligente, technologiquement et spirituellement avancée soit-elle, la civilisation Draag n’est pas soustraite de sa conception hiérarchique des espèces qui lui permet d’agir de manière anodinement autoritaire envers plus petit qu’elle.

Sur ce, on vous souhaite des bonnes lectures et des bons visionnements! N’hésitez pas à nous partager vos réflexions sur les oeuvres et envoyez-nous vos suggestions.

Par Ève-Laurence Hébert (elle) | Coordonnatrice toutEs ou pantoute