S3E9 – Croyances et féminismes avec Dania Suleman et Kathia Rock

Segment 1 : Introduction

Laurie : allô allô à toutes avec un criss de gros E à cause c’est toujours ben la base essayer d’inclure tout l’monde! Pour celleux qui nous écoutent pour la première fois, ToutEs ou pantoute, c’est comme le fou rire interminable qui vous pogne à toi pis ta cousine pendant la messe de minuit. C’est pas d’adon…

Alex : Aujourd’hui, on commence notre bloc de 2 épisodes sur la spiritualité, les croyances et le féminisme. On a non pas une mais deux entrevues dans l’épisode d’aujourd’hui: On va explorer comment la foi et le féminisme peuvent cohabiter avec Dania Suleman, autrice du livre Malentendues, foi et féminisme : des droits réconciliables et on va parler de l’apport de la spiritualité dans la création et de réappropriation culturelle avec Kathia Rock, artiste pluridisciplinaire innue. 

Laurie : Pis on va conclure avec une participation spéciale mais récurrente de ToutEs ou pantoute revisitée, à la fin de l’épisode. Une collaboration qui nous fait tripper ben raide pis qui va vous faire regretter d’avoir fait stop avant la fin si jamais c’est votre genre. 

Alex : On commence cet épisode drette là, à la vitesse où François Legault se met à bafouiller quand on lui fait remarquer que sa loi pour la laïcité est en fait une loi contre les minorités religieuses! Ici Alexandra Turgeon…

Laurie : et Laurie Perron!

Ensemble : Vous écoutez ToutEs ou pantoute!

Segment 2 : Présentation de la thématique et de l’invitéE

Laurie : Tout au long de la saison, on va explorer les thèmes choisis en les étirant sur deux épisodes, qui vont en explorer des facettes différentes, mais toujours avec la même approche féministe, queer, et interrégionale. L’un des épisodes va être plus intello-recherche-philosophique-remise en question de toute, et l’autre plutôt créatif-artistique-féérique. Aujourd’hui, on vous offre un épisode où nos deux entrevues font se rencontrer les univers créatifs et nerd-philosophiques! 

Alex : Si vous voulez encore plus d’épisodes de ToutEs ou pantoute où on continue de jaser des mêmes sujets sur des angles différents, considérez vous abonner à notre Patreon, au Patreon.com/toutesoupantoute!

Laurie : Pis aussi vous pouvez juste être là pis écouter, c’est déjà tellement hot que vous nous suiviez, on est su’ l’cul!

Alex : Avant de se lancer, je voulais faire une petite mise en garde. Malgré notre désir d’inclusivité et de précision, y’a aucun doute que y’a des tonnes de réalités toutes plus nuancées les unes que les autres qui vont être absentes de l’heure qui suit. On a choisi d’inclure deux entrevues dans cette épisode-ci parce qu’on voulait essayer de montrer un échantillon peut-être plus grand d’un éventail presque infini de pratiques, de réflexions et de subjectivités par rapport aux spiritualités et aux religions. On voulait éviter de parler d’une seule réalité en lien avec les spiritualités en invitant une seule personne parce qu’aucune expérience est neutre et absolue. On a voulu éviter d’opposer spiritualité et religion, outre les visions des deux invitéEs, l’apport de Miriam Gabrielle et notre posture à nous de non-expert.es du sujet qui sont issus d’une réalité chrétienne blanche, francophone et québécoise, mais y’a mille autres approches qui existent dans lesquelles peuvent se croiser, se combattre, se mêler ou se marier différentes spiritualités ou religions et croyance. L’épisode qu’on vous propose, c’est vraiment une introduction à une réflexion sur ces thèmes. Dernière note : Dans cet épisode, on va utiliser de façon un peu libre, et peut-être pas très précise, les mots religion, spiritualité, foi et croyance. Ça aurait été vraiment pertinent de passer du temps à définir l’aspect plus conceptuel et théorique de ces notions-là, mais notre angle dans cet épisode-ci, c’est de laisser la place à la subjectivité de nos invitéEs par rapport au thème, pis un petit peu à la nôtre aussi. On va vous laisser de la documentation en notes d’épisodes si c’est quelque chose qui vous intéresse, toutefois, de creuser l’aspect plus conceptuel et théorique, pis on tient évidemment à s’excuser pour notre utilisation un petit peu lousse de ces termes chargés.

O.K., on part! Pour faire changement, on s’avance aujourd’hui en terrain glissant, miné, et hors de notre zone de confort. Je dis hors de notre zone de confort, parce que ni moi ni Laurie on se considère comme croyantes. Pourtant, on a grandi ToutEs les deux dans un environnement relativement catholique, on a fait des cours de catéchisme à l’école et à l’Église, Laurie, tu as joué de la musique à l’Église.

Laurie : Oui, pis j’ai lu à la messe, servi à la messe, pis chanté dans les messes de minuit jusqu’à y’a vraiment pas longtemps, fait que oui, j’ai gravité là-dedans en masse.

Alex : Pis y’a pas de doute que les valeurs chrétiennes et catholiques ont teinté notre éducation et notre sens de la morale, comme probablement une bonne partie d’entre vous qui sont passés par le même système d’éducation dans les mêmes années, genre « Ne fais pas à autrui ce que tu n’aimerais pas qu’on te fasse, aimes ton prochain » …

Laurie : Comme toi-même! (Rires)

Alex : Mais en tant qu’adulte, nous, la foi religieuse fait pas partie de nos valeurs. Et en cela on suit la norme : la société québécoise actuelle est en rejet pas mal assumé de la foi religieuse. C’est pas vraiment à la mode, pour le dire légèrement, de s’assumer comme personne croyante en ce moment au Québec. Dépendant de votre âge et de votre pays d’origine, il est possible que vos parents, vos grands-parents, ou vous-même, avez connu la Révolution tranquille, où le Québec a rejeté l’ingérence de l’Église catholique dans la vie privée et politique au Québec. Ce mouvement-là, d’abord politique, a aussi amené un changement de mœurs sociales, et bien des QuébécoisEs ont mis la foi catholique derrière elles, mais pas tout le monde, évidemment. D’ailleurs, les personnes issues de l’immigration, ou d’ailleurs au Canada, n’ont pas ce bagage traumatisant de l’Église catholique qui vient les hanter dans leur chambre à coucher, et ont donc souvent une vision bien différente de la façon dont la religion peut faire partie de leur quotidien sans que ce soit une agression ou que ce soit difficile. Pis d’ailleurs, pour les personnes autochtones, le rapport à la spiritualité et une potentielle séparation entre celle-ci et la vie publique est assez différente que dans la religion chrétienne. C’est ça qu’on veut explorer aujourd’hui! 

Là, je veux pas donner l’impression qu’on nie ici les horreurs et les violences qui ont été commises au nom d’une religion ou d’un Dieu. Ça serait ben malaisant de la part d’un podcast queer-féministe de passer sous silence les horreurs dont notamment, parce qu’on parle de nous, l’Église catholique a été l’autrice. Des pensionnats autochtones aux thérapies de conversion en passant par les campagnes anti-avortement, qui ont lieu encore aujourd’hui, le fondamentalisme religieux peut briser des vies. Mais comme je disais, on n’est pas des personnes croyantes nous-mêmes, donc aujourd’hui, on a décidé de moins parler, pis de laisser nos invitées prendre plus de place. Donc on a deux entrevues à vous présenter. Plus tard dans l’épisode, Laurie va parler avec Kathia Rock, une chanteuse et conteuse innue qui était de passage à Trois-Pistoles cet automne. Mais avant ça, je vous présente mon entrevue avec Dania Suleman. Née à Montréal d’une mère québécoise francophone et d’un père érythréen anglophone, Dania Suleman est titulaire d’une maîtrise en droit international de l’UQAM. Elle est avocate de formation et elle réside aujourd’hui à New York. Elle vient nous parler de la recherche qu’elle a faite pour son livre Malentendues, foi et féminisme : des droits réconciliables

Segment 3 : Entrevue avec Dania Suleman

Alex :  Dania Suleman, bienvenue à ToutEs ou pantoute!

Dania : Merci!

Alex : Pour que nos auditeurices comprennent bien ton expertise et pourquoi on se parle aujourd’hui, j’avais le goût que tu nous parles de la démarche autour de ton livre. Dans le fond, pourquoi t’as décidé de t’intéresser au lien entre les féminismes et la religion, pis plus particulièrement, pourquoi t’as décidé de te pencher sous l’angle du droit et de la justice.

Dania : J’avais l’impression que la religion, ou les religions, étaient comme le seul espace ou on accordait pas cette légitimité aux femmes, de pouvoir faire des choix religieux féministes. Lorsqu’une femme faisait un choix religieux, dans le cas du Québec, le choix religieux d’une femme qui vient vraiment créer des réactions, c’est de porter le voile islamique ou de porter le niqab, pour le nommer, on voyait énormément de femmes féministes et de féministes de cercles féministes vraiment être incapables de reconnaître que ça pouvait faire partie de l’ordre de la multiplicité des choix qu’une femme peut poser dans sa vie, qui soit un choix féminisme. Surtout que moi-même, plus jeune dans ma vie, j’ai été beaucoup plus pratiquante et religieuse et également féministe, donc d’un point de vue personnel, j’arrivais pas à me reconnaître dans ce discours-là, qui voyait toujours une relation antagoniste entre religion et féminisme. Et la raison pour laquelle j’ai décidé, entre autres, de l’analyser d’un point de vue juridique, c’est qu’évidemment, lors des discussions, des débats de société au Québec quant à la Chartes des valeurs québécoises, énormément de juristes sont sortis avec cette espèce d’expression de tension irréconciliable entre l’égalité des sexes et la liberté de religion et pour prémisse un peu que la liberté de religion, c’est un obstacle fondamental à l’avancement des droits des femmes, et donc que cette tension était irréconciliable, donc fallait faire un choix, à savoir dans la primauté des droits, est-ce que l’égalité des sexes devait avoir préséance sur la liberté de religion. Moi, je trouvais que c’était simpliste comme angle.

Alex : Je trouve ça quasiment un pied de nez, parce que c’est comme, j’ai l’impression, beaucoup mobilisé dans les discours, justement, qu’il y a des tensions irréconciliables entre le droit à la religion pis les droits des femmes, mais je trouve ça super parce que toi t’as comme fait « O.K., ben on va aller voir ». T’es allée vérifier à la source, en fait. D’autant plus que dans ton livre, tu dis qu’entre 2018 et 2019, y’a trois lois ou projets de lois qui ont été déposés ou approuvés au sujet de la liberté de religion, souvent pour la réduire, pour la contraindre, pis chaque fois, avec cet argument de protection des femmes, dans la petite poche de chemise des politiciens.

Dania : Cet argument est pas factuel. C’est ça que j’ai voulu aller faire dans ma recherche, c’est d’aller voir vraiment dans les décisions canadiennes, est-ce qu’il y a cette tension irréconciliable entre égalité des sexes et la liberté de religion.

Alex : On fait une espèce d’amalgame, comme quoi ces projets de loi sont censés venir protéger les femmes.

Dania : Exact, alors qu’on vient brimer leurs droits et même qu’on vient retirer leur gagne-pain. Avoir accès à un emploi et un gagne-pain, ça été probablement les facteurs les plus émancipateurs pour une femme parce qu’elle pouvait faire des choix indépendants dans son contexte domiciliaire, que ce soit un mariage, une résidence, etc. Donc je trouve ça affreux que pour une femme, dans notre société québécoise, et pour certains hommes, également, qui veulent pratiquer leur religion et porter un symbole religieux, qui sont confrontés à d’énormes questions et finalement, possiblement, ne pas pratiquer leur profession et on leur retire une carrière et un gagne-pain.

Alex : On est assez d’accord. J’ai l’impression que, t’sais, t’as dit que ces actions et ces discours visent beaucoup les religions minoritaires, t’en as nommé quelques-unes en particulier, beaucoup la religion musulmane pis les femmes musulmanes qui portent le foulard, pis j’ai l’impression que tout ça, c’est vraiment empreint de peur, ça part d’une anxiété et d’une peur, comme tu l’as dit tantôt. Est-ce que t’as une idée de quoi la société québécoise catholique ou laïque a peur?

Dania : C’est sûr qu’on peut pas ignorer la Révolution tranquille. La présence de la religion catholique sur les québécois et québécoises, ils se sont affranchis de la religion catholique, mais dans son emprise négative, évidemment. Il y a cette affirmation que jamais on va retourner, jamais on va recréer une société dans laquelle une religion a autant de pouvoir, autant dans la vie personnelle que dans les institutions et dans la politique en général. Je pense qu’en faisant ce choix-là, évidemment, il y a une nuance qui a été échappée, dans laquelle on attribue nécessairement ce vécu collectif que les québécois et québécoises ont vécu jusqu’à la Révolution tranquille et on l’impose dans les nouvelles communautés immigrantes et religieuses. C’est ce qui nous donne la perception que des lois comme la loi 21 sont nécessaires pour préserver la laïcité au Québec, parce que y’a une peur qu’il va y avoir une remontée du religieux qui ferait en sorte que nos institutions publiques soient dominées par le religieux alors que c’est zéro factuel. C’est aucunement démontré que c’est le cas et je pense que nos institutions, à ce moment-ci, sont protégées et font preuve d’une impartialité et ne sont pas dominées par le religieux, ou par l’Église, ou par un temple ou une mosquée.

Alex : Ça m’habite tellement, ces réflexions-là, pis on dirait que j’avais jamais pensé à l’apport du traumatisme, c’est évident, mais le transfert de ce traumatisme depuis les Québécois et Québécoises vers les autres communautés religieuses est assez flagrant. Ça fait quasiment un parallèle avec bien des relations interpersonnelles, ou une personne qui a vécu un traumatisme va le transférer plutôt que de le régler pis de le vivre soi-même, t’sais.

T’as glissé des petits éléments de réponses dans ce que tu nous as dit plus tôt, mais j’ai le goût que tu nous parles de ce que t’as appris en faisant ta recherche et tes constats. Je sais qu’on va pas sortir de cette discussion-ci avec des réponses super catégoriques, mais dans le fond, selon ton observation de la jurisprudence pis de la loi canadienne, est-ce qu’on peut allier féminisme et religion, ou sont-ils mutuellement exclusifs?

Dania : Je suis allée regarder le plus de jugements possibles. En fait, ce que j’ai remarqué, c’est que il y avait des deux, il y avait autant des jugements dans lesquels il y avait une question de tension entre une partie qui revendiquait sa liberté de religion et une partie qui revendiquait des principes d’égalité homme/femme, tout comme il y avait des jugement où une même partie revendique les deux droits en même temps. Ce que j’ai remarqué, en fait, et je pense que ça été ce qui m’a le plus étonnée, c’est que la cour canadienne, et avec raison, dans la plupart des cas, lorsqu’il s’agissait d’une confrontation entre l’égalité des sexes et la liberté de religion, a toujours trouvé un moyen pour protéger le droit des femmes, parce qu’elles étaient dans un état de vulnérabilité, que ce soit la question de la polygamie en Colombie-Britannique, que ce soit la question du divorce religieux juif, dans lequel l’homme juif, dans leurs termes religieux, pas dans les lois canadiennes, évidemment, mais dans les lois judaïques, c’est l’homme qui donne le divorce de manière unilatérale, pis même à ça, la cour suprême a tenté de protéger le droit de la femme juive, même si c’était un cas de litige purement religieux. Je peux en nommer d’autres, dans lesquels, que ce soit même des questions d’avortement, un homme chrétien qui voulait manifester devant des centres d’avortement parce qu’il revendiquait sa liberté de religion, parce qu’il croit que dès la conception, le fœtus a une vie, non, la cour canadienne a protégé le droit des femmes. Par contre, dans le cas ou c’était une même partie qui revendiquait autant sa liberté de religion que son égalité des sexes, non, c’est pas le cas. Bien souvent, la femme perdait, en fait, entre autres, dans les jugements les plus récents, Hak contre Québec, où c’est une étudiante en enseignement qui va, si elle n’a pas déjà gradué, mais à l’époque, elle allait gradué pour devenir enseignante, elle était confrontée à un choix super difficile qui était d’enlever son voile si elle veut pratiquer sa profession et elle, en tant que partie, elle revendiquait, oui, son droit de porter le voile, mais autant elle revendiquait son droit à l’égalité, autant que ses consœurs et confrères dans le domaine de l’enseignement, de pouvoir travailler au même titre qu’eux. À deux juges contre un, on a décidé de maintenir en place la loi 21, alors que deux juges avaient reconnu les effets préjudiciables immédiats sur les femmes musulmanes. Quelle est la justification, après? La cour est censée être le dernier ressort contre un gouvernement majoritaire pour protéger les droits des minorités, c’est les raisons pour lesquelles on a décidé de voter des chartes comme la Charte canadienne des droits et libertés et la Charte québécoise des droits des libertés. Je pense que si on regarde le cas de N.S. contre la Colombie-Britannique, il me semble, ça c’est un autre cas où une même femme revendiquait son droit pouvoir le niqab, qui était son choix religieux, tout en témoignant contre son agresseur sexuel, et la Cour suprême du Canada, qui aurait pu avoir une sensibilité et se dire que c’est tellement plus important d’offrir un espace alternatif aux femmes de pouvoir témoigner dans des conditions non-normatives, que ce soit dans une chambre à part, que ce soit en portant un voile, que ce soit un voile intégral qui couvre son visage, ce qui était le cas de N.S. à l’époque, il y a seulement eu la juge Abella, qui elle a eu un jugement genré et féministe, mais à part la juge Abella, non, la Cour suprême a seulement émis un test qui a été renvoyé au juge de la première instance, il a répondu à ce test-là et il a dit « bon, moi j’en viens à la conclusion que tu dois enlever ton niqab si tu veux témoigner contre ton agresseur ». Elle a retiré sa plainte. C’est affreux. Les tribunaux canadiens ont tellement une sensibilité, une intelligence émotionnelle quand ça vient aux droits des femmes, mais quand ça vient à une même partie qui revendique les deux, y’a quelque chose qui manque. Pour moi, je pense que ça été ça mes plus grandes déceptions, en fait, en faisant mes recherches sur cette espèce de tension entre liberté de religion et égalité des sexes.

Alex : Je m’en vais un peu ailleurs, mais je me demande, tu nommes dans ton livre que c’est une réflexion pi c’est une discussion, quand on les aborde, qui sont surtout théoriques pis émotives, pis je me demande, quand on parle, parce que j’ai l’impression qu’on met beaucoup dans le même panier les institutions religieuses pis la foi, ou les croyances religieuses, pis quand on parle de tensions réconciliables ou irréconciliables entre le féminisme et les religions, est-ce qu’on devrait séparer les institutions religieuses, justement, pis les croyances, justement, pouvoir parler de la foi catholique sans parler du Vatican pis du pape, ou de pouvoir parler de la foi musulmane sans parler de certaines structures institutionnelles en particulier, ce qui est beaucoup le cas, j’ai l’impression. Je sais pas ce que t’en penses.

Dania : Oui, évidemment que y’a la question de la croyance intime et de la foi, et il y a les institutions qui viennent avec, qui des fois ne reflètent pas les valeurs de cette foi-là, donc manque de justice, d’égalité, et certainement, je pense, pour humaniser les personnes religieuses, on peut les voir en rapport avec leurs rapports avec leurs valeurs personnelles et leur foi et leurs croyances et pas seulement les associer automatiquement à des institutions avec lesquelles on est complètement en désaccord. Je pense que souvent, que ce soit religieux ou areligieux, on porte en nous des valeurs humaines qui sont très belles et je pense qu’on est capable de retrouver des points en commun, pis si on s rattachait à ces principes de la foi, elle est dans quoi, dans tes valeurs, quelles sont tes valeurs, en fait, et moins dans le «  tu pries à telle église ou telle mosquée ou t’écoute tel prêtre ou imam, ou tu vas à telle synagogue et moi je suis complètement en désaccord, donc je te vois comme une personne qui est un problème pour le droit des femmes. Donc oui, absolument, je pense que de faire une distinction entre les institutions et la foi est une étape qu’on pourrait faire collectivement pour humaniser autrui.

Alex : Tout à fait. Pour terminer, j’avais le goût de pousser la réflexion en lien avec la conclusion de ton livre avec laquelle je suis, mon Dieu, mais tellement d’accord, tu parles, t’expliques l’argument avec lequel, t’sais, oui, il y a des normes patriarcales qui peuvent être véhiculées ou qui peuvent profiter de certaines traditions religieuses ou de certaines institutions ou religions, carrément, mais le patriarcat est pas exclusif aux religions, pis il est surtout pas exclusif aux religions minoritaires, pis tu dis que le fait de scruter les faits et gestes des religions minoritaires ou des personnes membres de religions minoritaires pour y chercher les inégalités par rapport au féminisme ou en général, sans regarder le reste de la société, c’est complètement pas juste et c’est même nuisible, pis je me demandais si t’avais le goût de nous parler un peu de ta réflexion par rapport à ça.

Dania : Le féminisme, quand c’est devenu quelque chose de beaucoup plus présent, dominant dans notre société, je pense qu’entre autres, ça c’est imposé dans tous les espaces, mais aussi dans les espaces religieux, et je pense que y’a énormément de femmes qui se sont posées des questions à voir si dans leurs espaces religieux, dans leurs pratiques ou dans les interprétations de leurs textes sacrés, s’il y avait pas à revoir des interprétations des rituels et des pratiques excessivement patriarcales et misogynes également, et je pense que ça a permis de créer à l’intérieur, et là, je dis pas qu’en ce moment c’est le statu quo, y’a énormément de travail à faire  en ce moment dans les espaces religieux, mais oui, ça a permis une certaine éclosion parce que les femmes se réapproprient ces textes-là, elles révisent également les pratiques religieuses à savoir si elles veulent les réinterpréter, ou carrément avoir une scission complète avec leurs rituels qu’elles considèrent sexistes, par exemple. Mais en faisant ce travail de l’intérieur, elles sont aussi venues confronter le féminisme blanc occidental qui avait tiré une croix complète sur la religion et donc ces femmes-là, féministes religieuses, elles-mêmes également, je pense qu’elles viennent un peu déstabiliser les féministes occidentales blanches religieuses qui étaient sous la perception qu’il n’y avait aucune réconciliation possible et que le religieux fait partie d’un système archaïque et antimoderne hyper traditionnaliste et conservateur et que tout était à rejeter. Je pense que c’est là où j’entrevoie une relation circulaire dans laquelle les féministes, que ce soit occidentales ou radicales ou whatever, sont venues, en ayant une éclosion dans lequel le féminisme s’est répandu un peu partout dans les sphères de la société, c’est venu retravailler les espaces religieux, de là en sont sorties des femmes religieuses qui ,à leur tour, viennent confronter les limites de ce féminisme blanc occidental, et je pense que l’un apprend de l’autre, et c’est là que je vois une relation circulaire, dans laquelle ce n’est pas une relation étudiant-enseignant, on est les deux des étudiants et on apprend à mieux faire vis-à-vis de l’autre, finalement. C’est là où moi, j’entrevoie une relation circulaire entre les deux.

Segment 4 : Retour sur la première entrevue avec Alexandra et Laurie

Alex : Merci Dania Suleman pour cette entrevue que j’ai trouvé super intéressante! J’espère que vous aussi! Laurie, comment tu te sens, qu’est-ce que t’en as pensé?

Laurie : J’ai vraiment trouvé intéressant le moment où vous parliez des fondements de la peur des Québécois et Québécoises face à toutes les autres religions parce que moi, je m’étais jamais rendue à questionner les raisons qui motivent cette peur-là. Je trouvais que c’était vraiment éclairant sur ma propre culture ou une partie que je ne connaissais pas, au final.

Alex : Ça montre les angles morts qu’on peut avoir par rapport à notre propre histoire pis à notre propre présent par rapport à ce sujet-là. Avant de passer à notre deuxième entrevue, j’ai le goût de continuer cette réflexion-là, parce que d’après moi, c’est le cœur de ce qu’il faut qu’on réfléchisse pis ce qu’il faut qu’on retienne. Si ça vous tente de réfléchir là-dessus, je vais mettre beaucoup d’ouvrages dans les notes de l’épisode, j’ai beaucoup lu pour cet épisode, des livres comme Féminismes islamiques de Zahra Ali, Femmes, Islam et Occident de Osire Glacier, et Spiritualités féministes : Pour un temps de transformation des relations, de Denise Couture. C’est tout un courant de théologie anti-oppressive, c’est à dire des féministes religieuses pratiquantes qui  réfléchissent avec une posture critique à la façon dont leur religion peut faire une plus grande place aux valeurs d’équité, aux valeurs féministes. Notamment, en déconstruisant et reconstruisant les symboles religieux, genre le symbole de Marie qui est symbole de féminité soumise, pis y’a plein de féministes chrétiennes qui l’ont construit et déconstruit comme une femme en pleine possession de sa sexualité, un symbole tout autre finalement, ou en remettant certains écrits, par exemple la Bible, le Coran ou la Torah dans leur contexte pour refaire une autre lecture de ces écrits qui datent de des millénaires. C’est vraiment pertinent pis intéressant.

Laurie : C’est clair.

Alex : Il y aussi tout un mouvement décolonial de réappropriation de pratiques ancestrales chez plusieurs communautés autochtones, un processus collectif et individuel, qui prend de plus en plus de place, et ces mouvements-là sont souvent accompagnés d’une réflexion et d’une réappropriation d’une spiritualité qui a été étouffée par la colonisation. On va en parler davantage dans quelques minutes. Ce que je veux dire, c’est que de douter du fait qu’on peut allier féminisme et religion, c’est remettre en question toutes les féministes religieuses qui existent, qui ont existé, et qui font un travail super important. On peut être une personne croyante, une personne qui a la foi, pis être une personne antiraciste, être une personne qui travaille dans un mouvement décolonial. Ça se peut pas, c’est nier l’existence de ces tonnes de personnes qui sont en pleine possession de leur réflexion, pis c’est souvent teinté de petites doses de racisme et classisme, aussi, notre espèce de remise en doute de tout ça, pis c’est important de souligner ça pis de s’en rendre compte.

Laurie : Ben oui, parce que de toutes façons, on se fera pas accroire que, même pour les plus athées d’entre nous, au final, c’est une croyance pareil, t’sais! De croire qu’il n’y a pas de Dieu ou d’entité suprême, l’absence de foi, je considère qu’il y a une part de croyance là-dedans, pis si nous on considère qu’on peut être féministes avec ces croyances-là, pourquoi pas les autres?

Alex : Excellent point. On parle beaucoup de changements systémiques à ToutEs ou pantoute, mais là, c’est quand même des changements intimes de mindset, mais je pense qu’on a vraiment de travail à faire là-dessus en tant que féministes, ben nous on est des féministes blanches, ben c’est vraiment un problème de féminisme occidental, entre autres, de remettre en question le fait que ça peut aller ensemble, foi et féminisme, ou foi et militance.

Je veux prêcher par l’exemple un peu… haha, prêcher! En disant que j’ai dû me confronter à mes propres préjugés en préparant l’épisode. J’ai fait mon mémoire de maîtrise sur les discours de la CAQ au sujet du port de signes religieux, donc j’ai beaucoup lu, dans les dernières années, sur les discriminations que vivent les personnes musulmanes, en particulier les femmes qui portent le foulard. J’ai aucun problème à comprendre qu’une femme musulmane qui porte le foulard peut être une femme féministe, mais j’ai lu un livre écrit par une professeure de théologie féministe et chrétienne et qui est blanche, et je me suis rendue compte que j’approchais son travail avec beaucoup de doutes, je voulais qu’elle me convainque qu’elle était vraiment féministe, vraiment ouverte, parce que j’avais peine à croire qu’on pouvait être chrétienne, être une professeure d’université retraitée, et être féministe vraiment ouverte. J’en parle parce que je pense que c’est important de se watcher les préjugés, pis que c’est bon de les confronter quand on le voit apparaître.  Faut faire attention.

Laurie : En plus, c’est tellement ancré dans ce que Dania soulevait dans l’entrevue au niveau de notre détachement de la chrétienté et du catholicisme. Tu fais bien d’en parler.

Alex : Ouais, j’étais pas fière. Je pense que, bon, individuellement, faut qu’on se checke les préjugés, mais systémiquement et socialement,comme Dania en parlait, on doit modifier les choix qu’on offre aux personnes croyantes. C’est quelque chose que Dania soulevait, et que j’ai beaucoup lu aussi, en ce moment, quand des féministes tentent de réformer quelque chose en lien avec leur religion, de l’améliorer, de le critiquer, les choix qu’elles ont, devant la loi, c’est tout accepter et rester dans une communauté religieuse et honorer leur foi, ou quitter la religion si elles sont pas contentes, mais c’est pas suffisant. C’est possible, pis c’est ça qu’il faut qu’on se rentre dans la tête, moi y comprise, d’être à la fois dans la contestation et la croyance sans avoir à le rejeter à 100%. Il est important de comprendre ça, parce que sinon, la religion est laissée aux conservateurs, aux crinqués fondamentalistes antiféministes.

Laurie : On veut pas ça!

Alex : Ça nous amène à notre prochaine entrevue, Laurie, dans notre vision de la spiritualité, avec l’entrevue que t’as préparée. Veux-tu nous la présenter?

Laurie : Comme tu le disais en introduction, on a eu la chance de croiser la route de Kathia Rock à l’automne dernier, et de là est née cette entrevue qui est un réel petit bijou selon moi. Kathia a une expérience artistique impressionnante : elle a 25 ans de carrière, c’est pas rien ! Elle est à la fois autrice-compositrice, chanteuse, comédienne et conteuse. Elle est innue, originaire de la communauté de Mani-utenam, sur la Côte-Nord. Elle prépare actuellement un album dont la sortie est prévue quelque part en 2022 et on a hâte pas à peu près! Mais d’ici là, dans l’entrevue, on a discuté de son art, de son rapport à la spiritualité, de réappropriation culturelle, mais en mélangeant tout ça, parce qu’au final, la spiritualité, ça va teinter toutes les facettes de nos vies, dont la création artistique. Je vais me la fermer, comme on dit, pis on va l’écouter!

Segment 5 : Entrevue avec Kathia Rock

Laurie : Allô Kathia, merci d’avoir accepté mon invitation! Question que nos auditeurices apprennent à te connaître tranquillement, je sais pas si tu pouvais nous faire un petit topo de ton parcours artistique.

Kathia : La musique a toujours fait partie de ma vie, depuis le plus jeune que je peux me souvenir. À l’époque, j’aimais beaucoup entendre les chants à l’église, parce qu’on était obligés d’aller à l’église, pis j’y allais, pis la seule qui me faisait aimer être là, c’était les chants. Les chants se sont transformés avec le temps, parce que quand les missionnaires sont arrivés, ils ont repris ces chants-là, pis ils les ont modifiés pour les adapter aux églises, ils ont enlevé plein de mots, plein d’histoire là-dessus. Il y avait des chants pour chaque situation, chaque événement, chaque cérémonie. Le chant est vraiment venu me chercher, après le rêve au tambour. Le rêve au tambour m’a vraiment plongée dans ma culture. Je suis partie de ma communauté, j’ai eu 14 ans, je suis arrivée à Montréal, pis j’ai voulu parfaire le domaine des arts. Plus tard, je suis rentrée comme comédienne, où j’ai pu canaliser mon esprit, mon corps et mon émotionnel ensemble, et d’essayer de brancher la musique avec le théâtre, d’être le plus vrai possible à l’intérieur de moi. Le conte est arrivé beaucoup plus tard, mais le conte, ça fait environ une quinzaine d’années que je tourne autour des festivals de contes en tant que chanteuse, toujours, pis un moment donné, j’ai eu ce déclic-là : il faut que je plonge parce que je me sens dans l’urgence d’aller consulter les aîné.es, d’aller à leur rencontre. Je rentre chez un aîné, je lui demande: (passage en innu) est-ce que t’es prêt à me livrer ce que tu veux aujourd’hui? On fait pas de rendez-vous, on fait pas de timing, on pose pas de question, on écoute. C’est comme ça que ça se passe chez nous, on écoute. Si tu te trompes, ben là, tu vas avoir une petite taloche sur l’épaule ou sur le derrière de la tête pour te dire non, non, c’est pas ça, c’est comme ça qu’on apprend. Je suis allée à l’école, j’ai eu beaucoup de difficulté, pis là y’avait une classe spéciale qui était organisée pour les jeunes en difficulté comme moi, et moi je montais dans le territoire. J’ai eu cette chance, de rentrer dans le territoire, d’installer du piégeage, de dépecer les animaux, d’entre les histoires. Ma vie, en général, quand je la regarde, j’ai toujours été connectée dans le territoire et dans le monde de la ville, et mon cheminement m’amène vraiment à essayer de combiner tout ça. Je me suis dit : qu’est-ce que tu veux Kathia? Qu’est-ce que tu veux transmettre? Qu’est-ce que tu veux laisser derrière toi? Comment tu veux qu’on se souvienne de toi? Pas en se pétant les bretelles, mais juste dire que j’ai apporté quelque chose. Je chante dans ma langue parce que ma langue est en train de disparaitre, j’amène une histoire qui n’a jamais été sur la scène québécoise dans l’industrie, parce que le conte chez nous, c’est pas un spectacle, c’est une transmission. Tu le fais avec honneur et tu écoutes avec ton cœur ouvert grand comme l’univers. Là, je me retrouve de l’autre côté, je m’en vais consulter les aîné.es, je viens sur la scène, pis j’ai ce mélange dans ma tête, de pas faire trop d’éclairages, de pas faire trop de flafla, parce que la parole qui m’a été contée m’a été contée sur le bord d’une cuisine. Il y a ce respect-là. Dernièrement, je suis allée et on m’a raconté l’histoire des raquettes qui m’a bouleversée, encore, chaque sujet que les aîné.es me racontent me bouleverse parce que c’est un univers infini et je me sens honorée de rentrer chez ces aîné.es pis de leur demander (passage en innu) de me raconter une histoire. Le rêve, chez nous, c’est très important. C’est celui qui te guide, et si t’es en connexion avec ton esprit, avec ta spiritualité, avec ce que tu vis dans le moment présent, si tu ne l’as pas rêvé, tu ne dois pas le faire. Tout est transmis dans nos rêves ou dans nos rêves éveillés, des fois, on est dans la lune, pis une idée nous vient, ben tu la prends, pis t’essaies d’être en harmonie avec cette idée-là. Des fois, on a des questionnements dans la vie. Je suis pas ésotériste machin, mais y’a une part de moi qui s’en va dans ça. Dans l’histoire de raquette, anciennement, c’était réservé aux hommes, aux grands chasseurs, aux chamans. Il y avait des femmes qui étaient spécialisées dans un certain tressage. Souvent, la femme faisait la paire de raquettes tressées de cette technique-là pis l’offrait aux grands chasseurs. Si par malheur, tu l’offrais à un autre qui était pas en union avec le territoire, les animaux et les esprits, à ce moment-là, cette personne-là pouvait disparaitre comme par magie, sans laisser de traces dans la neige, pis la femme pouvait disparaître aussi si c’était pas de bonne intention, donc tu ne peux pas faire aujourd’hui de raquettes si tu ne l’as pas rêvé et si tu ne peux pas l’offrir à un grand chasseur qui est dans le respect dans toutes les sphères avec le territoire. Je me sens privilégiée dans toute, pis quand des festivals comme le festival des Grandes gueules à Trois-Pistoles m’invitent, t’sais, je me sens pas conteuse professionnelle comme les autres parce que peut-être que ma culture à moi, c’est pas un spectacle. C’est une chose juste à raconter, pis j’essaie de le faire du mieux possible en étant le plus vraie avec moi.

Laurie : Ça me fait me demander, toi, quand tu écris, dans ton processus, pour qui tu écris? Qui t’as en tête? Est-ce que t’écris pour toi-même, c’est pour léguer à quelqu’un?

Kathia : En 2008, j’ai reçu une bourse. Dans cette bourse-là, j’ai expliqué que je voulais aller à la rencontre des aîné.es, ça été mon premier pas vers les ainé.es, puis, je suis allée dans un rassemblement d’aîné.es, à chaque année il y en a qui se déplacent de communauté en communauté pis c’est à peu près 200 à 300 personnes dans un campement, pis c’est comme si tu rentrais dans un village d’époque. Fait que là, je suis allée me présenter à tout le monde, j’ai dit bonjour, je m’appelle Kathia, je viens vous enregistrer, si y’en a qui veulent ou qui veulent pas, c’est pas grave, mais je vais être contente si vous voulez. Je suis allée rencontrer un aîné, pis la première personne, la première entrevue (passage en innu) : « Est-ce que tu peux me raconter une histoire? » Il me dit : « T’es qui, toi? Un, tu parles mal ta langue, deux, si je te raconte mon histoire, tu comprendrais rien. » Heille, ça m’a pris dans les poumons, pis je me suis dit, je pensais que ça allait se faire tranquillement pis vraiment… comme une rivière, t’sais. Pis là, je l’ai regardé, pis j’ai dit : « Si tu me transmets pas à moi ce que t’as vécu, ce que t’as vu, ce que t’as entendu, est-ce que tu le fais à tes enfants? Si tu pars, qu’est-ce qui va rester de toi, de ton parcours? Moi, c’est ce que j’aimerais. Si tu ne veux pas me partager, je respecte ça. Si tu veux, je vais m’asseoir pis je vais t’enregistrer. Je te souhaite une bonne journée. » Là, tous les autres aîné.es qui étaient autour sont partis à rire et ils ont dit « Ha! Elle vient de te… » Fait que là, il m’a regardée pis il m’a dit : « Assis-toi! »

C’est vrai que j’ai rien compris parce que t’as la langue de territoire. La langue de territoire, c’est tellement passionnant parce que c’est des lieux précis. On sait qu’il y a 36 sortes de neige, y’a des sentiers, dans le territoire, tu montes pis y’a certains qui habitent là où le saumon s’arrête. C’est tu pas beau? Là où les eaux se séparent. Y’a des beaux noms de territoires comme ça. Je suis allée rencontrer ces gens-là, qui avaient, dans ces endroits-là, à l’ouest ou à l’est de la rivière Mistassibi pis là, le territoire de mon grand-père s’appelle fleur de mai. Y’a un nom aussi en innu pis en français, mais il est super pas beau celui en français. Mais c’est passionnant parce que la langue de territoire, c’est là où tu vas passer une rivière, tu vas tourner à droite, arrivé à telle fourche, tu vas voir les montagnes qui ont un tel look, pis c’est là. Ça, c’est un lieu. Il y a toujours là où il se passe quelque chose. Là où il y a quelque chose en particulier. Lui me parlait, me racontait l’histoire de ça, d’une chasse au caribou. Ce que j’ai su, cette journée-là, c’est que le caribou qu’ils ont tué cette journée-là avait une grosse plaque sur le côté droit de son cou, comme une grosse plaie. En le ramenant au campement, le chasseur a dit : « allez me chercher Mani-Nuish ». Mani-Nuish, c’était une guérisseuse, pis c’était elle qui faisait les médicaments, la pharmacienne (rires). Elle est arrivée, pis le chasseur lui a demandé c’était quoi, ça. Elle s’est mise à genoux, elle a commencé à tâter la gale, le truc qu’il avait dans le cou, pis elle s’est mise à le goûter. Elle a dit : « je sais exactement ce que c’est ». Donc, les animaux qui vivent avec nous ou que nous, nous vivons avec eux, nous enseignent aussi comment se soigner. Fait que la cariboute a mâché quelque chose, a fait un cataplasme au caribou, et c’est devenu un médicament qu’on utilise encore aujourd’hui. N’est-ce pas fascinant? Ma culture me passionne de plus en plus. C’est peut-être mon âge qui s’avance et que l’horloge, t’sais… mais ça me passionne au bout.

Laurie : C’est clair. Mais tous ces mots-là, qui sont aussi ultra spécifique à langue innu, t’sais, un mot qui veut dire justement, là où s’abreuve l’original, Ashuapmushuan, là où j’ai grandi, tous ces mots-là qui sont vraiment spécifiques à ta culture, comment tu fais pour les traduire ou les exprimer en français?

Kathia : Tu vois, Mike Burns s’assoit sur la scène, il ferme ses yeux, pis je voyage avec lui. Ma première inspiration, c’était lui, c’était sa langue, c’était le peu de mouvements qu’il faisait. Je me suis dit, un jour, si je deviens conteuse, je veux être comme Mike Burns, qui m’inspire beaucoup. Ça été ma première inspiration. François Lavallée, écoute, qui me fascine, y’a Simon Gauthier qui me nourrit, y’a Michel Faubert, qui lui, a le même parcours, on a le même parcours parce qu’on va consulter les gens du village ou moi c’est mes aîné.es, pis je reviens en ville pis j’essaie de mettre toute mon histoire en une histoire, toutes des petites anecdotes pis d’essayer de construire une histoire là-dessus. Fait que ça, je suis encore en balbutiement de chercher mes mots, où est-ce que je mets mon mot, mettons (mot en innu), c’est là où la rivière se déverse de chaque côté, mais moi je trouve ça beau, t’sais. Je regarde dans le dictionnaire, des fois j’écoute ma cousine parler pis elle me sort des espèces d’expression pis je me demande ce que ça veut dire. Moi, ma langue, je l’ai toujours entendue depuis mon enfance, mais mes parents m’ont parlé français pour m’aider à m’intégrer dans le monde. Quand j’ai commencé à écrire des chansons, la langue est sortie automatiquement. J’ai des mots (mot en innu), le souffle chaud. Je trouvais ça tellement beau. Des fois, j’écris des mots comme ça pis je pars là-dessus. Je vais écrire une chanson, je vais écrire un poème que je cache dans le fond d’un tiroir. Y’a des mots comme ça qui viennent me chercher, qui m’inspirent. Fleur de mai. Écoute, c’est tu pas beau. C’est plus beau en français. Y’a des mots qui sont plus beau en français qu’en innu, fait que je vais choisir qu’est-ce que je mets, comment je le raconte, comment je l’intègre.

Laurie : Y’a une question que j’avais envie de te poser, mais si jamais ça te tente pas, tu me le diras, parce que je trouve que ce serait incomplet un peu de parler de toute cette beauté-là de l’art pis de la spiritualité pis de la culture innu sans toucher un peu la question de la réappropriation, parce que je me demande, au final, elle est où la limite entre encourager, soutenir et diffuser les artistes autochtones, pis se réapproprier leur art, utiliser leur art pour bien paraître en termes de diversité.

Kathia : Y’ont bâti un programme qui s’appelle réconciliation. On parle beaucoup de réconciliation, vérité et réconciliation, pis t’sais, je me dis, souvent, ça me… il manque un mot entre ces deux-là. T’sais, guérison, écoute, quelque chose comme ça pour avoir une certaine, pas reconnaissance, mais écoute et de compassion pour passer à une autre étape. Réconciliation, qui est fâché avec qui? Fait que tout ça m’amène à penser de dire ok, on est où? Aujourd’hui, les artistes, moi ça fait, écoute, dans les communautés autochtones, y’a des artistes qui sont plus établis que moi, qui ont plus d’expérience sur la scène. Ces artistes-là viennent en ville, longtemps on a pas eu de place. Longtemps la loi 101 nous a bloqué parce que moi, j’ai une langue, j’ai une culture, donc je chante dans ma langue, je parle dans ma langue et j’essaie de la garder vivante comme la majorité du monde francophone. Y’a cette espèce de barrière-là. Depuis quelques temps, on est pas mal à la mode, on nous invite un peu partout, là, c’est pu la coche ok, on a invité une minorité visible ou une autochtone pour dire on a coché ça pis on a rempli notre mandat. Là, aujourd’hui, on prend plus de place, mais ça fait des années qu’on demande. La culture est tellement belle, est tellement riche, on est millionnaires. Moi, dans ma vie, je veux juste des rencontres, des partages, des rencontres qui me passionnent dans tous les domaines artistiques, que ce soit autant au niveau de la scène médiatique que partout et je rêve de ce moment-là. Les jeunes, on a beaucoup plus d’auteurs-compositeurs, de plus en plus diversifiés, pis y’en a de plus en plus qui devraient être beaucoup plus connus et aidés et appuyés pour montrer leurs œuvres au niveau canadien et québécois. Il y a eu l’appropriation culturelle parce que chaque chose que tu rêves, que tu fais, qu’on a perdue, qu’on nous a enlevée, qu’on nous a arrachée. Maintenant, avec les histoires de pensionnats, il y a eu une espèce de grosse guérison de retour aux sources pour aller, sans parler des histoires de pensionnats, les aîné.es, ma mère est retournée aux sources. Je m’appelle Kathia, je suis une enfant d’une ex-pensionnaire. Je porte mon père qui est décédé l’année passée et pour lui, je me dis que je vais me battre pour embellir et ouvrir les portes, pas défoncer des portes pour dire : « Yo, on existe! Ouvrez-nous, tendez-nous la main, on s’en vient! » C’est tellement beau, moi je veux la lumière partout dans ma vie. Pour ça, je suis connectée avec mes racines, je suis connectée avec ma spiritualité, et je m’en vais en ville pour dire : « Voilà ce que je suis, voilà ce que nous sommes ». That’s it. Faisons de la place, ouvrez-nous, faites-nous de la place partout. Parce qu’on est là.

(Intermède musical)

Laurie : Encore et toujours, merci à Kathia pour cette entrevue, pis pour la générosité avec laquelle elle m’a parlé parce que c’était sans fin, ça m’a fait vraiment plaisir qu’elle me raconte autant d’histoires pis de récits à travers une entrevue. Ça arrive pas souvent, faut en profiter quand ça passe! J’ai presque le goût qu’on s’éternise pas à revenir sur l’entrevue pis qu’on vous laisse sur ses mots à elle, en quelque sorte.

Segment 6 : Assis-toi sur ton sofa avec ton inconfort avec Miriame Gabrielle Archin

Miriame : Allô? C’est à mon tour! Moi aussi, j’ai des choses à dire! Est-ce que c’est à mon tour?

En écoutant l’entrevue avec Dania, il y’a une phrase qui m’est venue et qui m’est restée, pis cette phrase c’est juste : plus ça change, plus c’est pareil. Parce que de base, toute religion et tout texte sacré les accompagnant sont de nature bonnes, dans la mesure où le message véhiculé est de faire le bien et the bottom line is just try to be the best human possible, right? The thing is, since forever, les religions et leurs textes ont été instrumentalisés et sont, en fait, encore aujourd’hui instrumentalisés d’une manière ou d’une autre afin de pousser un narratif. Partant de l’esclavage jusqu’à la colonisation, jusqu’à cet éternel débat/combat opposant à tout prix féminisme et religion, et encore aujourd’hui avec la loi 21. Ce que j’entends par là, c’est que toute personne avec un minimum de pensée critique est capable, je pense, de discerner que le thème de la religion, dans ce cas précis, est instrumentalisé par l’État afin de pousser un narratif qui l’arrange, fait que je pense que ce qu’on a l’habitude, ou ce que l’histoire nous a démontré, c’est l’instrumentalisation d’une religion en particulier et des écrits afin de contrôler, plain and simple, une communauté, une population ou des gens. Par contre, la différence, c’est qu’ici, c’est pas une religion précise ou un texte, c’est le concept de la religion dans son entièreté est instrumentalisée pour pousser un narratif qui est discriminatoire, qui est la pensée québécoise blanche aux dépens de la pluralités des voix qui existent au Québec, since forever. Déjà, let’s start with the fact that le Québec n’a jamais été juste en français. O.K., tout le monde est là, on peut poursuivre? Poursuivons. Sinon, dans un exemple de décision judiciaire que Dania a mentionné, elle parle du fait d’imposer sa vision aux autres pis perso, je considère que c’est l’un des problèmes les plus profonds du Québec. Par ça, je veux pas trop m’attarder là-dessus, parce que t’sais, Québec bashing, quand tu commences, t’arrives pas à arrêter… c’est une blague. Le Québec bashing, ça existe pas. Fait que je vais donner deux exemples pour appuyer ce que je dis avant de passer à autre chose, pis mon premier exemple, c’est l’espace qu’occupe le racisme systémique au Québec. Le Québec tient tellement fort à son image d’innocence et de bienveillance par rapport aux inégalités systémiques raciales qu’il va aller jusqu’à nier les preuves les plus tangibles afin de pousser ce narratif, pis ce narratif va être relégué par les médias de masse, ce qui va contribuer à l’aveuglement volontaire de la population en général. Ça, c’est mon premier exemple. Mon deuxième exemple, le nationalisme québécois… O.K., on se calme, assoyez-vous, j’ai pas fini. De revendiquer son identité et sa langue en tant que minorité dans un Canada Anglais. Maintenant, la discrimination que les Canadiens-Français ont subi de la part des anglais n’est pas quelque chose d’inventée ou de discutable ou de débattable. It is a fact. Les Canadiens-Français se sont fait discriminer par les Anglais. But, hard pill to swallow : c’est un débat et un combat de colonisateur. Rien de plus. Les Québécois n’ont pas plus de droits sur cette terre que les Anglais parce qu’ils sont venus coloniser en premier. You know what I mean? En tout cas, je sais que je me suis éloignée de la question entre religion et féminisme, mais tout ça pour dire que l’enjeu que représente cette question par rapport au féminisme et la religion est un enjeu qui s’étend au-delà de ça.

La chose sur laquelle je voulais vraiment m’attarder est l’entrevue avec Kathia Rock. I honestly do not have words to express how hearing her talk about her culture and her ancestors made me feel so good and seen. Honnêtement, je pense qu’entendre cette femme parler dans sa langue natale est l’une des plus belles choses que mes oreilles ont jamais entendues. En écoutant l’entrevue, j’ai legit juste fermé les yeux, pis j’ai couché ma tête, pis j’ai écouté. Ce qui est fou, c’est que depuis un petit moment, je pense beaucoup au lien entre mes ancêtres et les ancêtres autochtones, pis pour vrai, la quantité de choses que Kathia a nommée qui fait aussi partie des croyances ancestrales africaines is just crazy. Mettons, l’importance des aîné.es, la place qu’occupe le conte dans la transmission des savoirs et comme partage d’intimité, le rêve, oh my god, le rêve est un des éléments cruciaux du Vaudou, car c’est par le rêve que le Guinen, qui fait référence aux esprits, d’une façon de nommer tous les esprits en même temps, c’est comme une façon de dire que les ancêtres peuvent forward the spirit world. Aussi, une raison pour laquelle il s’appelle le Guinen, c’est parce que tous ces esprits-là vivent dans une dimension au Guinée. En écoutant cette entrevue, ça m’a amenée à reconfirmer que le rêve, le conte, les ancêtres, la magie sont une question d’instinct. C’est quelque chose que je vais approfondir dans l’épisode 10, donc je vais m’arrêter là-dessus, mais je vais conclure en témoignant de l’importance de connecter avec ses ancêtres, de connecter avec une sagesse plus grande que nous, pis qu’on y ait accès ou pas, ce que j’entends par là, c’est que d’être capable de monter son arbre généalogique, c’est un privilège que la majeure partie des personnes noires ont pas accès, cause slavery, mais c’est pas pour autant que ces ancêtres ne sont pas là. At the end of the day, que ce soit par une spiritualité indépendante de la religion, par l’entremise d’une religion ou encore par une pratique provenant d’un amalgame de choses, the important part is connecting with this high wisdom. This connection is highly intimate, and for most cases, private. Alors d’imposer que le féminisme et la religion ne peuvent pas aller de paire, c’est une peu bafouer la spiritualité en soi, because who are we to say so? Really? Donc là-dessus, je vous laisse, et vous connaissez la chanson : Sur ce, si y’a quelqu’un qui s’est senti inconfortable, ben qu’il aille s’asseoir sur son sofa avec, ou qu’il prenne rendez-vous avec moi, avec Your Black Best Friend. Peace!

Segment 6 : Le mot de la fin

Laurie : Merci à Miriame Gabrielle Archin de nous avoir coupé la parole encore une fois!

Alex : On apprécie! C’est ce qui conclue cet épisode de ToutEs ou pantoute. Merci beaucoup à Kathia Rock et à Dania Suleman pour les belles discussions et les beaux apprentissages. Cette exploration pis ces réflexions au sujet des croyances, c’est juste une petite fenêtre ouverte sur un monde encore plus nuancé, complexe et vivant que ce qu’on a eu le temps de présenter aujourd’hui. On espère avoir contribué à vos réflexions sur ces thèmes. On va revenir dans deux semaines avec notre dernier épisode de la saison, estic, pouvez-vous croire? Pas nous autres! Dans cet ultime épisode de la saison, Laurie va nous parler d’occultisme, de divination et de magie féministe et queer, puis nous présente une entrevue avec Myriam de Gaspé et Maryse Andraos sur l’astrologie et le queerness.

Laurie : Oh oui!

Alex : D’ici là, dites-nous, croyez-vous en Dieu? Si oui, êtes-vous tannéEs de vous faire prendre pour une personne pas en pleine possession de son féminisme? Si non, est-ce que ça vous manque, des fois, de croire en quelque chose? Moi, j’ai l’impression que oui, des fois. On a le goût de vous entendre pis de vous lire, donc gênez-vous pas pour nous écrire sur nos médias sociaux, on s’appelle ToutEs ou pantoute, pis on est sur Instagram pis sur Facebook, pis on a même un courriel, toutesoupantoute@gmail.com.

Laurie : Aussi, on vous invite à nous écrire si vous pensez qu’on peut s’améliorer d’une quelconque manière. C’est quoi nos angles morts ? Qui on oublie, qu’est-ce qu’on oublie ? Hésitez pas à nous aider à être meilleur.es, on est pleines de bonne volonté pis on sait ben que nos connaissances sont pas à la veille de la perfection. Si vous avez une passion, un talent, une expertise que vous aimeriez partager à tous vents comme si c’était la bonne nouvelle, écrivez-nous ! On sait pas dans quelle mesure on va pouvoir vous mettre sur la map, mais on va essayer ! On veut vous connaître et on est toujours à la recherche de nouveaux sujets, et de personnes de tous horizons pour en parler avec nous en ondes. On veut sortir de nos cercles ! Help!

Alex : Merci à Miriame Gabrielle pour son nouveau segment plus que rafraîchissant. Merci à Elyze Venne-Deshaies pour les brand new jingles, avec Christelle Saint-Julien à la harpe et Henri-June Pilote aux percussions et Marie-Frédérique Gravel au mixage et mastering. Merci à Odrée Laperrière pour notre visuel, Merci à Cassandra Cacheiro pour les photos, à Marin Blanc pour notre graphisme, Merci à Marie-Ève Boisvert pour le montage, Maïna Albert pour l’habillage sonore, Merci à Ève-Laurence Hébert pour la coordination et Melyssa Elmer à la gestion de médias sociaux. Merci à Émile Perron et Catarina Wieler-Morin pour notre site web. Merci à Émilie Duchesne pour la transcription des épisodes. Merci au Conseil des arts du Canada de son soutien, et finalement, merci à vous autres d’avoir joué avec nous !

Ensemble : Bye bye ! 

(Générique de fin)

Fin de l’épisode