Transcription épisode 2, saison 4 : Tournée de fruits sur le dancefloor

Titre de l’épisode : Tournée de fruits sur le dancefloor – un épisode sur la consommation en milieux festifs et artistiques

Pierrette Coulombe: Ma mère était était bonne aussi là-dedans. J’va te raconter un petit fait. Une fois elle voulait me faire chanter, mais moi, j’étais rentrée dans le groupe des AA qui s’appelait dans ce temps-là le mouvement Lacordaire. Ok, fait que moi, j’étais fière, j’avais arrêté de boire tout ça parce que je voulais faire spécial, pour voir ce que ça ferait si j’arrêtais d’en prendre. Mais là, elle voulait me faire chanter. Il y avait plein de monde dans la maison. Elle vient me voir en cachette, en arrière, et elle me donne un petit verre, ça d’haut. Tout petit verre. De Chemineaud. Fait qu’elle dit prend ça, ça va t’aider à chanter, mais je lui dit maman, j’suis Lacordaire. Elle dit, ça le cassera pas, ça le cassera pas. (rires) 

(Intermède musical, avec sons de préparation de fête, Laurie et enfants)

Pierrette Coulombe: J’apporte un coke parce que moi je prends du coke, j’apporte une bouteille d’eau minérale, puis j’apporte un vin sans alcool parce que faut toujours que j’aie un verre à la main. Moi, là, c’est lever le coude que j’aime. Ça me prend une coupe, je bois mon coke même dans une coupe. Puis j’aime lever le coude. 

Sarah Grenon: Ben non, mais moi c’est sûr que je vais aller essayer de me mettre sous mon plus beau jour quand même. C’est certain. Puis aussi bien je vais me demander à quelle fête qu’on va. Où est-ce qu’on va et avec qui on va, qui va être là. Parce que je m’habillerai pas de la même manière (rires) selon l’affluence. On amène-tu notre boisson, ou il va y en avoir là bas. Je vais amener ma sorte de bière parce qu’il l’aura peut-être pas là-bas. Puis la pas bonne j’en veux pas. On va sûrement amener une bouteille de vin. Puis Russel, qui en prend pas, va vouloir arrêter acheter une bouteille de vin aussi pour les gens qui vont être là, pour en offrir aux autres.

Roxanne Hallal: Dans les événements festifs, il y a les festivals de plusieurs jours, camping, on dort là-bas, on déménage notre linge, notre bouffe, notre maison là-bas. Ça fait qu’on va planifier la liste d’épicerie. Mais on va aussi planifier potentiellement la liste de substances qu’on va prendre, parce qu’on peut pas nécessairement sortir puis aller en chercher, fait qu’on va faire des commandes de groupes avant, par exemple, ou genre ok, telle personne va aller acheter la MD, puis va faire genre des capsules prémesurées de MD pour tout le monde, tu sais ou des trucs comme ça. Puis là les gens vont arriver là-bas, puis ils vont se set up un espace et s’assurer que genre ils ont tout ce qu’il faut dans leur sac à dos pour partir en aventure dans l’univers du festival par exemple. Ça fait qu’il y a bouteilles d’eau, des snacks. Il y a souvent une personne dans le groupe qui est comme un peu plus dans ce mood-là. D’où l’aspect un petit peu ritualistique aussi je pense de tout ça, ça devient un peu des habitudes. On finit par comprendre ce qui nous fait du bien pendant qu’on est dans un trip par exemple, ou qu’est-ce qui peut faire du bien aux personnes qui sont autour de nous et qu’est-ce qui pourrait être utile d’avoir en termes de survie. Qu’est ce qui peut être utile d’avoir au cas où ça vire un peu mal ou que comme je me sens pas bien. Puis après comme on est prêt.e.s pour l’aventure, puis genre on y va, tu sais. (rires)

Alexandra: Ici Alexandra Turgeon.

Laurie: Et Laurie Perron.

Alexandre et Laurie: Vous écoutez toutEs ou pantoute saison quatre, épisode deux, Tournée de fruits sur le dancefloor.

Poème lu et composé par Natasha Kanapé-Fontaine: 

Sobre

Tout est sombre dans les recoins

Mais c’est ici que j’habite

Les toiles d’araignée et la poussière

Sont les sentinelles du pays

Intérieur où je me tiens

Auquel je promets loyauté

Et résistance

C’est ici que j’habite

Où assiégée était synonyme d’aveugle

Je recouvre mes empreintes

Les vagues respirent

Sur le sable d’une rive où a échoué

L’opacité.

(Intermède musical)

Laurie: Paul Verlaine saoul tire sur son jeune amant Arthur Rimbaud, qui menaçait de le quitter. Du côté de la musique, c’est pas bien mieux. Beethoven, Moussorgski, Satie, tous ravagés par l’alcoolisme. Plus près de nous, on voit la naissance du stoner rock, du psychedelic rock et du acid rock. Les beatniks sont su’a dérape. La chanteuse et légende du rock Janis Joplin décède d’une surdose d’héroïne. La talentueuse Amy Winehouse rejoint le club des 27, décédant à 27 ans des suites d’une intoxication à l’alcool.

Alexandra: Wô minute là, les artistes sont tous dépendants à l’alcool, puis aux drogues, et l’alcool et la drogue, c’est des fléaux de société? C’est ce que t’es en train de me dire?

Laurie: Je m’excuse Alex, je me suis mêlé bien raide. J’étais convaincue que j’étais à Canal D (rires). J’avais oublié, carrément oublié qu’on avait une approche, nous, radicalement nuancée.

Alexandra: Ouais, mais c’est pas si facile que ça non plus d’avoir une approche nuancée par rapport à un sujet qui est représenté et qui peut être vécu aussi de façon aussi tragiquement triste que des overdoses pis des morts, mais qui peut être tellement fun aussi quand tout va bien. Parce que c’est souvent ça en fait qu’on vit nous autres.

Laurie: Tellement! Moi j’ai tout le temps fait partie du monde qui trouvait que la consommation de drogue c’était ultra positif, aussi parce que je voulais continuer de me représenter ça comme ultra positif, parce que j’en consommais et c’était le fun pour moi. Mais veux, veux pas, je cumule aussi avec le temps les ami.e.s et les personnes proches de moi pour qui ça a vraiment viré moins positif, pour qui les impacts ont été plus dramatiques. Ça fait que ma réflexion est quand même de plus en plus nuancée. Fait que peut-être qu’on va y arriver à la nuance, peut-être!

Alexandra: Par l’expérience, veut, veut pas, parce que ça l’est nuancé finalement.

Laurie: Ben oui, puis tu parles d’expérience pis ça me fait penser aux deux grossesses que j’ai vécues en même temps que je faisais des shows dans les bars pis dans des festivals où tout le monde autour consommait, buvait surtout, mais consommait plein d’affaires aussi. Puis moi aussi c’était ça mon habitude. Puis je me suis rendu compte que c’était vraiment plus tough que je pensais d’arrêter puis de rester dans la gang. C’était pas si simple. 

Alexandra: Ouais, puis c’est vraiment dans les shows, soit les shows que toi tu fais, où je me rends souvent, mais dans plein de shows mettons, je pense à des shows dans des bars, dans des salles de spectacles, dans des festivals, mais c’est là qu’on fait la fête puis qu’on consomme plus. Puis c’est souvent le fun, mais ça serait le fun que ça soit des environnements qui soient plus sécuritaires aussi. Parce que comme on parlait dans l’épisode précédent, le fléau par rapport à la consommation, c’est pas que ça existe et que les gens consomment, mais c’est vraiment plus qu’il y a plein de substances qui sont illégales et que ça rend ça tabou et difficile d’avoir du stock de qualité qui va pas nous rendre malades. Fait que c’est ça, ça serait le fun qu’on puisse avoir confiance, qu’on puisse sortir et avoir du fun sans que ça vire mal.

Laurie: Tellement.

Alexandra: C’est un peu tout ça qu’on veut explorer dans l’épisode d’aujourd’hui. Puis on veut commencer en vous présentant une de nos invité.e.s de l’épisode, dont c’est exactement la job en fait, de faire en sorte que les milieux festifs et les événements festifs soient sécuritaires.

Laurie: Bravo!

Roxanne Hallal: Mon nom c’est Roxanne Hallal. Je suis coordonnatrice du service d’analyse de substances au GRIP, donc Groupe de recherche et d’intervention psychosociale. Quand on parle d’approche de réduction des méfaits dans les milieux festifs, le GRIP fait souvent un kiosque d’information et de prévention. Donc les gens viennent nous jaser de conso. On donne du matériel de consommation plus sécuritaire, donc propre et adapté aux méthodes de consommation. On donne aussi des condoms, du lube etcétéra. On fait de la prévention des surdoses, puis ensuite on a aussi souvent un service de «outreach», donc des yeux sur le terrain, des gens qui ont un t-shirt visible. Donc on peut s’y fier, aller chercher de l’aide auprès de ces gens là. Et souvent aussi un service d’accompagnement psychosocial. Ça fait que quand ça feel pas trop, la personne peut venir se reposer. Puis finalement bien le service d’analyse de substances qui est mobile, donc on roule jusqu’au party. (intermède musical)

Alexandra: Le GRIP rencontre au préalable les promoteurs de l’événement et s’adapte selon les besoins. Mais dans pratiquement tous les cas, il y a un espace sécuritaire et sécurisant pour les personnes intoxiquées qui ont besoin d’un break ou de soins.

Roxanne Hallal: C’est un peu comme une garderie pour adultes en fait (rires). Il va toujours y avoir une personne présente, ça va être toujours un endroit qui va être illuminé et au chaud où tu peux trouver de quoi te changer les idées. Donc colorier, faire de la pâte à modeler, name it! Ou te reposer, fait que des lits de camp, un espace un peu plus cosy. Tu sais, si t’as envie de juste comme dormir jusqu’à temps que ça passe, bien, au moins nous on va être là et on va make sure que tu respires. On va make sure que si tu vomis, ça t’étouffe pas. On va s’assurer que si t’as besoin de premiers soins ou de soins médicaux, bien, on va aller chercher ça.

Laurie: Eille moi, c’est surtout les fois où j’essayais de rester sobre dans ces partys-là que j’aurais eu besoin d’une garderie pour me calmer les nerfs, je pense (rires).

Alexandra: Mais pour vrai, ça peut être une option d’y aller dans ces cas-là, Roxanne me l’a dit. Pas besoin d’être en bad trip pour aller dans la garderie parce que inquiète-toi pas que je lui ai demandé si je pouvais y aller, de toute façon (rires).

Roxanne Hallal: C’est pas obligé de venir d’un bad trip, hein. Je veux dire, c’est beaucoup des gens finalement qui ont consommé qui viennent, qui finissent par venir nous voir. Mais en vrai c’est aussi super utile pour des gens pour qui c’est juste overwhelming en ce moment, tu sais.

Alexandra: Dans le fond, l’approche de la réduction des méfaits, ça part du postulat que la consommation, ça existe. Grande nouvelle (rires). Puis à la place d’essayer de la mettre dans une boîte, de la contrôler, puis de dire aux gens “ne consommez pas c’est dangereux” la réduction des méfaits tente de rendre les contextes plus sécuritaires pour réduire les impacts négatifs que la consommation peut avoir dans la vie des gens. Ça considère toutes les substances sans les démoniser, puis ça vient pas non plus les banaliser comme on a tendance socialement beaucoup à le faire avec l’alcool. On a rencontré une artiste musicale reconnue pour nous parler de la banalisation de l’alcool dans les milieux artistiques. 

(Intermède musical)

Laurie: Quand on arrive à une gig, la première chose qu’on se fait donner c’est nos coupons de consommation.

Alexandra: Hey! Attend un peu là, on connaît ça cette voix-là, Laurie Perron! T’es notre invité de l’épisode?

Laurie: Bien, c’est pas un secret pour personne ici que je fais partie de la communauté artistique. J’en parle à tout bout de champ. Tant qu’à parler de consommation dans mon milieu, je me suis dit aussi bien parler de mon expérience, c’est tu correct?

Alexandra: Ben ou ben oui, continue!

Laurie: Bien, c’est pas mal pris pour acquis qu’on va boire quand on fait un show. Puis après huit ans de pratique semi-pro, là, entre guillemets, dans le milieu de la musique, je pense que j’ai joué juste une fois dans une salle sèche où il n’y avait pas d’alcool qui se vendait du tout, pis ça a quand même fini en bar clandestin dans le sous-sol.

Roxanne Hallal: Tu rentres dans un festival en ville, puis genre la première chose que tu vois c’est des gens qui t’offrent des shooters, de verser une bouteille de Jack Daniel’s direct dans ta bouche pour cinq piasses, tu sais. C’est quand même très très banalisé. Puis il y a les commanditaires, tu sais. Je veux dire, on peut penser à n’importe quel festival un petit peu mainstream à Montréal, puis il y a des bars complets, des scènes, des scènes genre Bacardi. Tu sais, jamais qu’on va avoir un stage commandité par la SQDC, tu sais ou par le vendeur de champignons magiques du coin (rires).

 (Intermède musical)

Laurie: On s’attend à ce que tout le monde boive au moins un verre et un shot, sinon plusieurs, au cours de la soirée. Mais on parle moins du reste.

Alexandra: Si la consommation de substances psychoactives est un peu moins taboue dans les milieux artistiques et festifs que dans le reste de la société, elle se fait quand même souvent en cachette et ça, c’est potentiellement en raison du tabou qui entoure les drogues illégales. Selon des études européennes qui datent du début des années 2000, la possibilité qu’une personne consomme des drogues de synthèse ou de la cocaïne au cours de sa vie était de 30 à 50 % pour la population qui fréquente des milieux festifs, comparativement à 2 à 3 % dans la population générale. Puis le profil des consommateur.ice.s, c’était des gens qui ne consomment pas souvent, mais qui mélangent plusieurs substances. Puis ça, ça augmente le risque d’accident.

Roxanne Hallal: Le fait qu’on banalise l’alcool et qu’en plus de ça on vient vraiment garder sous silence tout ce qui a rapport aux autres substances psychoactives, ça fait un mélange très dangereux. On vient mettre dans l’imaginaire des gens que l’alcool c’est pas une substance psychoactive, contrairement à la coke, contrairement au speed, contrairement aux médicaments d’ordonnance, alors que c’est pas vrai. Et donc les mélanges sont beaucoup moins recherchés quand on parle d’alcool. Si je veux faire de la coke et en même temps un xanax, il y a des plus fortes chances que je fasse au moins un petit google avant de le faire. Par contre, le nombre de personnes qui viennent nous voir et pour qui c’est une surprise monumentale que c’est peut être pas une si bonne idée que ça physiquement de mélanger l’alcool et la coke, c’est vraiment un grand nombre de personnes, tu sais.

(Intermède sons d’un spectacle de musique)

Laurie: Je me rappelle d’un moment où je faisais deux shows dans la même soirée, puis le deuxième show était prévu à 1 h et demie du matin. Puis à minuit, j’étais déjà vraiment trop soûle pour marcher drette. Ça fait que j’étais pas tout à fait en mesure de faire mon set. Ben j’ai quand même pris de la poudre pour arriver à faire mon set parce que ça fait la job, ça nous « désaoûle » un peu, ça fait cet effet-là, mais clairement, j’avais jamais fait de recherches sur les interactions et les risques possibles avec l’alcool.

 (Intermède sons d’un spectacle de musique)

Laurie: Puis même si on est plein de monde à en prendre pour des usages différents dans la même soirée, on va tous se cacher dans les toilettes pour en prendre ou se cacher en arrière dans la loge. Ça se fait pas comme si de rien n’était devant tout le monde. Tu sais, on consomme caché.

Alexandra: Et si on ne sait pas qui a consommé quoi et combien, c’est encore plus dur d’être à l’affût de potentiels risques de surdoses, ou de répondre aux questions des intervenants d’urgence au cas où ça dérape trop. 

 (Intermède sons d’un spectacle de musique)

Roxanne Hallal: Être avec un groupe d’ami.e.s dans des événements festifs, c’est vraiment un grand facteur de protection. Autant que ça va être souvent des ami.e.s qui vont initier une personne pour qui c’est la première fois qu’il y a de la conso, autant ces ami.e.s là vont un peu prendre une responsabilité aussi de comment la personne va feeler, et que ça se passe bien. Déjà juste de voir une face de quelqu’un que t’aimes, ça peut vraiment aider à diminuer l’anxiété pendant un trip si vraiment ça feel pas trop.

Laurie: Miser sur la confiance puis les ami.e.s, c’est quand même dans nos cordes.

Alexandra: Oui! Puis devant le monde parfois tough dont on parlait en introduction, se rassembler avec des gens qu’on aime pour s’autoriser ensemble à sortir du quotidien quelques heures ou une fin de semaine, ben ça fait du bien pis ça régénère notre capacité à reprendre notre job le lundi d’après.

Roxanne Hallal: Je pense que dans plusieurs milieux festifs où on voit de la consommation, il peut y avoir l’aspect un peu rituel aussi, qui sort un peu de l’espace-temps normal, du cours de la vie quotidienne. Fait qu’on se dit bien dans ce cadre là, je vais faire des expériences, je vais utiliser certaines substances, je vais interagir avec les autres d’une certaine façon. Fait que sur plein d’aspects, ces balises, elles sont une motivation à faire les choses différemment. Je pense que le fait qu’il y a une fin, ça peut être réconfortant pour certaines personnes parce qu’on a vraiment cette vision que tu peux pas être addict si tu fais pas un comportement tous les jours, tout le temps, constamment et que t’en a besoin pour fonctionner. Fait que le fait que ça ait une fin puis qu’on se dit je vais m’arrêter à la fin de ce party-là, c’est plus facile je pense, de se dissocier complètement de l’image de la personne qui a une addiction à certaines substances. Pour certaines personnes, c’est que le fait qu’il y a une fin physique, temporelle, ça les aide réellement, à ce moment-là, à ne pas, bien à arrêter ce comportement-là dans le fond. Que ce soit parce qu’ils ont un historique qui fait qu’ils savent qu’il peut y avoir un comportement un peu plus compulsif avec l’usage de substances, ou pour certaines personnes, c’est juste rassurant comme de pas aller là, de pas de tomber là-dedans dans un sens.

Alexandra: Puis je pense que c’est encore plus facile de s’abandonner, puis de décrocher, puis de se sentir rassuré, puis d’être nous même dans des contextes où on est avec du monde qui nous ressemble. Tu sais, je pense à mes partys de bureau, mettons. C’est pas des environnements où j’ai le goût de perdre le contrôle, puis d’aller dans les extrêmes, mettons, parce que c’est du monde avec qui je travaille. Puis aussi, c’est pas nécessairement un contexte qui va me faire du bien et qui va me faire décrocher.

(Intermède sons d’un party de bureau avec des propos déplacés) 

Laurie : Oui, je comprends (rires), mais même dans les contextes qui sont supposés d’être le fun, des fois il y a un petit enjeu de sécurité aussi. Parce qu’on ne peut pas s’abandonner 100 % au plaisir si on se watch constamment. Et c’est dur de faire autrement dans les bars straights où on se sent pas nécessairement tous et toutes accepté.e.s dans nos identités et où ça peut être difficile d’être en confiance, même pour les femmes cis-hétéros là, dans les bars straights, à cause de la culture du viol. Euh, ça existe tu les bars straight? (Rires) J’arrête pas de dire ça.

Alexandra: On appelle ça les bars, je pense (rires).

Roxanne Hallal: Je pense qu’il y a plusieurs milieux festifs qui se sont développés dans des communautés, où par exemple «moi,  dans les milieux festifs, je suis tanné de me faire genre pogner les fesses sans mon consentement, je ne vois pas assez de personnes queers ». Ben ok, let’s go! Un collectif est né! Tu sais, il y a beaucoup de ça. En fait, je pense qu’il y a beaucoup de milieux festifs qui se sont créés dans des communautés qui voulaient combler quelque chose qu’ils trouvaient pas.

Alexandra: Les scènes alternatives ou underground sont nombreuses au Québec, principalement à Montréal. Historiquement, ces scènes-là sont imaginées et initiées par des populations marginalisées ou encore qui se rassemblent autour d’un genre artistique rarement ou jamais programmé dans les grandes scènes. Par exemple, la scène des nightclubs est née aux États-Unis dans les années 1960-70, dans un esprit de communion festive en dehors des regards et des actions homophobes et racistes, par les communautés gaies, noires et latina. C’est un peu le berceau de la vie nocturne en fait, et du rôle du DJ comme on le connaît maintenant. La scène disco, avant d’être réappropriée par les diffuseurs mainstream et le public blanc bien sur la coke était une scène afro et gaie alternative qui a fleuri dans le village de Montréal. Dans les années 1980, du disco a émergé la musique électronique qui a évolué dans plusieurs directions, selon les endroits. Des événements de différentes envergures se sont tenus dans des entrepôts désaffectés ou d’autres lieux alternatifs qui souvent ne vendaient pas d’alcool pour respecter la loi, mais où les gens consommaient des psychédéliques ou des stimulants. Une certaine panique morale s’est élevée contre ces événements-là, puis une attention policière accrue, avec des descentes et des arrestations, ont rendu ces milieux là plus précaires, mais ont aussi fait leur marque. Des organisateurs ont choisi de se ranger du côté de la loi et l’ordre en s’organisant dans des milieux institutionnalisés avec sécurité, permis et heure de fin, alors que d’autres oscillent entre la légalité, la semi-légalité ou l’illégalité, en choisissant soit d’interdire l’alcool pour éviter les problèmes, ou de tolérer ou d’encourager la consommation et la vente d’alcool envers et contre tous.

Laurie: Personnellement, je connais peu la scène rave, mais je fréquente ou j’ai fréquenté plus assidument les scènes folk, punk et métal qui ont aussi leurs espaces respectifs cachés. Des lieux qui sont parfois ponctuels, organisés juste pour le temps de l’événement, ou des lieux comme des sous-sols, des studios lofts, des locaux industriels et même des terrains vagues, ou des fois dans le bois. L’adresse est souvent divulguée à la dernière minute ou en privé de bouche à oreille, soit pour contrôler le type de personnes qui viennent dans une volonté de créer un espace plus sécuritaire – mais on y reviendra – ou pour éviter d’être flagué par la police parce que les événements se tiennent plus souvent dans la semi-légalité. Ça veut dire pas de permis d’alcool, pas de vente non plus, mais bring your own beer mettons, ou dans l’illégalité, où il y a de la vente d’alcool par un bar clandestin, mais rarement dans la légalité complète, mettons, dans ces sous-cultures-là. En tout cas, cet effort-là de devoir courir après l’adresse auprès d’autres membres de la scène avant l’événement, ou de s’habituer à un lieu, puis le fréquenter à répétition, bien ça crée inévitablement une scène, puis une crowd précise, puis dans certains cas, j’oserais dire une communauté.

Roxanne Hallal: Avec tout ce qui est plus underground aussi on se retrouve un peu en communauté, je dirais, comme des sous-cultures, un peu. Fait que c’est sûr que pour la plupart des gens qui sont dans ces événements là, ça va être vraiment à l’opposé du travail en fait. Fait qu’on veut vraiment lâcher notre fou, et pour beaucoup de gens, c’est vraiment comme ces balises-là, qui sont un peu imposées par l’événement, qui va les aider à lâcher leur fou dans cette genre de bulle qui échappe à l’espace-temps, tu sais. Puis après, retourner un peu comme si de rien n’était à leur vie quotidienne finalement.

Josée Yvon, La chienne de l’hôtel Tropicana, lu par Émilie Duchesne :

« son inévitable smirnoff dans son verre de magicienne 

les veines prêtes à déborder comme saillante au printemps 

très longtemps depuis un repas familial avec la dinde et le trimming 

l’ozone d’un poing américain se greffe sur l’est assassiné. 

Pour arracher la plogue d’avec le réel 

elle lèche les miroirs. »

Josée Yvon, La chienne de l’hôtel Tropicana, dans le reccueil Pages intimes de ma peau.

(Intermède musical)

Laurie: On ne peut pas passer à côté, en parlant de party et de consommation dans un podcast féministe. Il existe des liens pas trippants entre la consommation et la culture du viol. On peut penser aux nombreuses agressions sexuelles commises par des personnes en état d’ébriété, à l’utilisation de GHB sur autrui, qu’on appelle la drogue du viol, ou juste au désir qui monte en même temps que l’inhibition baisse sur plusieurs substances. En plus, être sous influence de substances psychoactives, ben ça rend l’application de la notion du consentement difficile et complexe.

Roxanne Hallal: Pour tout ce qui est consentement et sexualité en milieu festif où il y a potentiellement de la conso, c’est comme 50 nuances de gris, pour faire un très mauvais jeu de mot. Dans la loi, si tu as consommé des substances, tu ne peux pas donner ton consentement. Oui, dans un monde de licornes idéal, personne n’aurait jamais rien pris dans le contexte de sexualité. C’est pas réaliste. Dans cette idée-là, c’est plus le rapport d’autorité, je pense. C’est à dire comme si toi t’es sobre, puis l’autre personne est en consommation, est ce qu’elle peut vraiment consentir à ce que tu lui offres? Il y a comme ce rapport-là. Et qu’est-ce qui arrive quand les deux ont consommé? Qu’est-ce qui arrive quand les deux ont consommé des choses différentes? Que soit ce qui arrive si c’est un couple qui se connaît depuis dix ans, puis ils se connaissent dans la conso, ils sont capables de savoir, reconnaître quand ils ont envie ou quand ils ont pas envie et communiquent ça vraiment bien. Qu’est ce qui arrive quand c’est des gens qui se sont jamais vus ou parlé avant et que c’est peut être un petit peu plus difficile de déceler les signes corporels de l’autre qui ne veut plus. Il y a mille situations, il y a autant de situations que de personnes qui sont dans ces situations-là.

Laurie: En effet, les gens qui ont eu des relations sexuelles consentantes après avoir bu une coupe de verre sont quand même nombreux. On peut bien se l’imaginer, sûrement à cause un peu de la banalisation de l’alcool, mais ça peut arriver aussi sur d’autres substances. Des fois, c’est même recherché. Les effets de certaines substances sont particulièrement agréables en contexte de proximité physique et de sexualité. On peut penser au chemsex entre autres.

Alexandra: Alerte rouge, je suis straight, je vis dans un monde de straight. C’est quoi du chemsex? (rires)

Laurie: Le chemsex, c’est une pratique qui est surtout répandue dans la communauté gaie, puis qui implique en gros de se rassembler en gang, puis de consommer plusieurs substances dans le cadre d’une relation sexuelle, pour les effets que ça apporte spécifiquement. Soit de diminuer la perception de la douleur, mettons, ou augmenter la confiance en soi, la libido, bref, juste décrocher en plus de se donner du plaisir sexuel en gang.

Alexandra: Je comprends. 

Laurie: Et ça permet de faire ça dans un genre de safe space où il y a personne qui est là pour juger tes habitudes et tes pratiques. Tu peux avoir les relations sexuelles que tu veux et consommer ce que tu veux, somme toute en paix. Ça fait que c’est positif. Mais reste que comme dans la vie en général, quand nos sens sont altérés, peu importe par quoi, ça peut devenir plus difficile de reconnaître les signes de désir ou de refus, ou même nos propres signes de désir. Fait qu’il reste qu’il y a un flou quand même sur la capacité de consentir hors de tout doute dans ces contextes-là, ou en contexte de consommation.

Alexandra: Clairement. Mais on ne peut pas faire semblant que c’est impossible et démoniser toutes les relations sexuelles en contexte de consommation.

Laurie: Exact, parce que des fois c’est le fun, tu sais.

Alexandra: Souvent c’est le fun. Puis l’autre affaire qui est compliquée, c’est que souvent, dans des cas où effectivement une agression sexuelle par exemple a lieu et est dénoncée, bien la consommation peut être utilisée pour discréditer tant la parole de la personne qui dénonce que diminuer la gravité des agressions.

Roxanne Hallal: Certainement que le fait qu’on soit dans des milieux où il y a peut-être plus de conso que dans d’autres, je veux dire dans des sous-cultures puis des milieux festifs un peu plus underground, il y a quand même une grande partie de ces gens-là qui sont des gens relativement en marge. Fait que le poids de leurs paroles va toujours je pense être un petit peu plus remis en cause que potentiellement le banquier cishet blanc, peu importe. Fait que oui, tout ce qui est consommation, ou problème de santé mentale, va clairement beaucoup être utilisé comme excuse pour discréditer autant la personne qui fait le témoignage que les intentions de la personne qui a agressé.

Alexandra: C’est tellement gossant. Il y a pas moyen de prendre un maudit break du patriarcat puis la culture du viol même quand on est en train d’essayer de prendre un break de la vie en allant checker un show, puis en chillant dans un bar.

Laurie: Ou en travaillant dans un bar.

Alexandra: Ouais, pour quelqu’un qui check le show ou qui est là pour chiller, il y a moyen, quand l’environnement devient hostile, de juste choisir de s’en aller. Mais j’imagine, pour quelqu’un qui est le show et qui travaille dans le bar, ça doit être un petit peu moins simple quand l’environnement devient hostile.

Laurie: Ça reste un milieu de travail bien particulier, parce que tu livres des œuvres qui impliquent de te rendre super vulnérable devant des publics qui sont pas tout le temps dans un mood d’écoute, mettons. Des fois il y a rien à faire là, il y a un dude qui va gueuler tout le long par-dessus ta toune douce. T’as pas le choix, il faut que tu continues pour ceux-là qui écoutent. Des fois tu veux pas consommer et c’est super mal vu. Peu importe les raisons, on va t’amener un shot sur le stage. Puis c’est en avant de la foule complète, pleine de monde paqueté, que là faut que tu choisisses si tu vas le prendre ou pas, tu sais. Il y a une salle où après le show, ça crie tout le temps un shot, une toune, un shot, une toune, éternellement. Jusqu’à temps que t’acceptes le shot puis que tu joues ta toune. Puis des fois tu le fais juste parce que t’as le goût. Mais des fois, c’est rien que pour avoir la paix aussi, tu sais. 

(Intermède sons de spectacle de musique)

Laurie : On en a parlé beaucoup l’été passé, quand le Festiplage a sorti sa programmation. Puis il y en a eu plein d’autres après, des programmations complètes de festivals ou la vingtaine de groupes annoncés, des fois plus, était constituée uniquement d’hommes cis. Dans le milieu musical, quand on est une personne de la diversité sexuelle et de genre ou une femme, bien, il faut encore défendre sa place vraiment fortement, même si on est rendu en 2022, 23 maintenant! Faut rocker en tabarnak pour être considéré artiste au même titre que les gars cis. Il faut être assez trash aussi pour mériter sa place dans le monde du rock. Pis ça, bien souvent, ça implique de la conso. Si on consomme pas assez, on est comme trop soft pour faire partie des vrais artistes, les maudits artistes maudits. Mais criss, me semble que je suis une vraie artiste là, je fais de la musique depuis plus que 20 ans. Mais j’ai aussi deux enfants qui vont se lever dans 3 h, puis des fois je veux juste faire mon set. J’y tiens pas tant que ça à être maudite.

Roxanne Hallal: Autant que de consommer en groupe, ça peut être un facteur de protection, autant ça peut être aussi insécurisant dans certaines situations. C’est-à-dire que par exemple, on connaît toute un peu le peer pressure. Je pense que beaucoup de gens l’ont déjà vécu avec l’alcool par exemple, mais c’est un peu la même chose avec les autres substances psychoactives. Tu sais, on peut avoir un sentiment de devoir le faire parce que nos amis le font, ou de rechercher une expérience qu’iels nous ont décrite comme étant extrêmement positive, sans vraiment nécessairement penser à qu’est ce qui nous différencie de cette personne là et comment nous, on pourrait avoir une expérience un peu différente. Ça fait que ça peut être surprenant. Tu sais, quelqu’un qui nous décrit une dizaine d’expériences avec la LSD qui étaient toutes plus positives une que l’autre, c’est sûr que si c’est une personne à qui je fais confiance, qui est mon amie, bien j’ai peut être plus de chances d’aller là-dedans sans nécessairement avoir les réflexes que j’aurais si quelqu’un d’inconnu m’en parlait, comme d’aller faire mes propres recherches par exemple. Quelque chose qui nous est nommé quand même souvent dans les situations plus de bad trip, c’est que ça peut être gênant pour les gens d’expliquer aux autres qu’iels feel pas, parce que tout le monde est high. Fait que j’ai pas envie de péter leur trip.

Alexandra: Puis dans les milieux plus underground dont on parlait tantôt, où on a comme un petit peu tout le temps peur que la police débarque, ça nous tente pas nécessairement de faire le 911. C’est peut-être encore plus dangereux de faire une surdose ou d’être en détresse.

Laurie: On se watch un peu plus entre nous autres qu’avant. Je sais pas si c’est l’âge qui nous a fait ça ou si c’est parce qu’on a perdu des gens de nos communautés quand même depuis les débuts de la crise du Fentanyl. Mais je vois que dans les communautés dans lesquelles je gravite, il y a quand même une sensibilisation qui s’est faite. Pour celleux à qui ça dit rien, la crise du Fentanyl, grosso modo depuis quelques années il y a toujours une petite possibilité que la drogue qu’on consomme, principalement les opiacés, mais maintenant bien des affaires aussi, contienne du Fentanyl. Puis ça a causé plusieurs overdoses mortelles. Il y a un médicament qui peut renverser temporairement les effets d’une surdose d’opioïdes et qui s’administre soit par injection, mais maintenant surtout par un spray intranasal. Puis c’est gratuit en pharmacie, puis c’est pas tout le monde qui le sait encore. Mais tu sais, dans mes bands par exemple, on a des kits de Naloxone ou de Narcan dans nos cases d’instruments, dans nos sacoches. Il y a plein d’ami.e.s dans le public, je sais qu’iels en ont aussi. Il y en a souvent en arrière des bars dans plusieurs espaces. Puis il n’y a pas d’effet négatif, si jamais c’était pas une overdose d’opioïdes, il y a aucun danger à l’administrer pour rien. Ça fait qu’il faut comme qu’on le sache, mais je sens qu’il y a une sensibilisation qui se fait à se surveiller pour s’assurer qu’il y ait pas d’affaire dramatique comme ça qui arrive.

Marie Darsigny, Toxique, extrait lu par Émilie Duchesne :

«C’est une vieille blague parmi les littéraires : « Ça te fera du matériel d’écriture ! » Vivre pour écrire, c’est bien beau en théorie, mais en pratique, c’est se jeter dans la gueule du loup parce qu’on se juge l’héritière d’une tradition voulant que la souffrance des femmes se vende bien. Le loup, c’est le milieu littéraire, c’est la tension perverse entre écrire la souffrance et reprocher à celles qui le font de ne nous livrer que leur journal intime, comme si c’était des enfantillages, des mots de pacotille qui ne pèsent rien dans la balance de la machine littéraire. Je vois et j’entends les jeunes femmes qui se dévoilent en poésie, en prose ou dans la vie, et je verse une larme : ça aurait pu être évité. Si la souffrance peut être un moteur littéraire et un accessoire mode qui se greffe au quotidien, elle risque de devenir le boulet qui nous empêche d’avancer, qui nous écrase jusqu’à la disparition. Je comprends : vivre et laisser vivre, bien sûr, que jeunesse vive et que jeunesse s’éclate, mais personnellement, j’aurais, je crois, aimé qu’on me dise que la souffrance n’est pas nécessaire et que l’intensité peut se trouver ailleurs, ou encore, que l’intensité n’est pas vraiment synonyme de carburant à création. Est-ce que les œuvres poignantes ont créé l’écrivaine ? L’artiste condamnée à la souffrance, nous en avons soupé, et nous crions la bouche pleine que c’est assez. Si on a modelé ce stéréotype sur la pléthore d’artistes maudits, se tuant à coup de whisky et de danger, moi, je refuse de m’inscrire dans cette tradition. Les hommes artistes survivent aux soirs de scotch, les femmes y laissent leur carrière, quand ce n’est pas leur peau. Soyons plus bienveillantes, soyons plus rusées : rien ne sert de périr, il faut vivre à point. Pour ma part, j’ai déjà des tonnes de matériel d’écriture, je n’en veux plus, je n’en peux plus. Si la vie m’amène sur des chemins d’été paisibles où rien ne s’écrit,

j’en serai fort contente.

Depuis longtemps, des femmes se sont penchées sur leurs dépendances et on les a traitées de sottes nombrilistes, on a qualifié leurs écrits de misery porn; nous sommes de petites connes qui tombons dans des pièges qui sont à peine bien tendus, la trame narrative veut qu’on s’en sorte et qu’on écrive l’histoire de notre rédemption. Moi, je veux écrire de chez les dépendantes comme Virginie Despentes écrit de chez les moches. Je veux écrire de chez les maganées, mais je sais que des femmes crèvent sans avoir pu raconter leurs histoires à qui que ce soit, des femmes qui n’ont jamais regardé de films inspirés d’une histoire vraie qui finit bien, des femmes qu’on considère comme des criminelles, qu’on punit d’exister. »

Marie Darsigny, Toxique, paru dans Liberté numéro 336.

Alexandra: Quand je parle de faire le party, faire la fête, puis de consommation avec toi, des fois je me dis que je suis un petit peu rendue une matante. (rires)

Laurie: Une matante sur la MD des fois genre? Pas tant que ça quand même! (rires)

Alexandra: Mais qu’est ce que je veux dire, c’est que je pense que c’est pas juste à cause de l’âge, mais peut-être un petit peu, mais je me sens comme dans un moment de vie où je prends pas nécessairement la consommation pour acquis quand j’ai le goût d’avoir du fun, de sortir de ma réalité. Mettons, ça fait partie des options. Mais si on pouvait le faire de façon intelligente puis sécuritaire, je pense que ce serait encore plus une option qu’on pourrait simplement choisir parmi d’autres. Si c’était moins tabou, puis si les drogues étaient décriminalisées.

Laurie: Ben oui, parce que c’est pas un choix complètement déraisonnable de consommer, c’est juste que c’est difficile de faire des choix éclairés dans des contextes où on est déjà stigmatisé.e.s, puis on fait juste essayer de fitter dans le contexte. Tu sais, c’est là qu’on se met à choisir mal, parce qu’on le fait sous pression. Et je trouve que la légalisation et la déstigmatisation qui viendrait forcément avec, je l’espère, bien ça ferait aussi que si notre choix sur le coup s’avère avoir été pas si bon que ça pour nous finalement, soit parce que ça dérape sur le coup, ou parce que, à moyen ou à long terme, on perd le contrôle qu’on avait au départ sur notre conso, bien on pourrait en parler autour de nous sans peur d’en subir les préjudices. Puis ça, me semble que c’est un vrai facteur de protection, parce que ça nous tient loin du plus grand danger causé par la stigmatisation liée à la consommation que nous nommait Karine Bertrand dans le dernier épisode, soit l’isolement.

Alexandra: Puis quand on voit la consommation comme un choix parmi d’autres pour avoir du fun, on dirait que c’est plus peut être plus facile de voir toutes les autres options. Il y en a plein d’autres options, même dans des contextes festifs et dans des contextes de par exemple de shows, de musique ou de party. Puis Roxanne Hallal est pas mal d’accord.

Roxanne Hallal: Je pense que c’est tout à fait possible d’avoir du fun sans consommer dans les milieux festifs. Je le fais depuis plusieurs années maintenant. Mais oui, je veux dire, ces événements là, c’est un playground pour adultes. Tu sais, la plupart des événements festifs, j’trouve que le fun en fait, il me sautent dans la face, j’ai pas besoin de le chercher. Après, bon, je suis une personne qui est émerveillée de voir une feuille tomber d’un arbre, fait que c’est sûr que peut-être je suis pas la meilleure mesure. Mais oui, je veux dire un tant soit peu que tu aimes la musique qui joue, que t’as des amis que t’aimes qui sont là, que tu trouves ton thing aussi. Je pense que pour plusieurs personnes ça va être de s’impliquer des fois qui va même aider. Tu sais, comme d’avoir un genre de purpose. Tout ce qui est artistique aussi, tous les workshops qui ont lieu. Juste d’être dans la nature aussi. Des fois tu sais, tu peux comme couper des fruits, puis genre faire une tournée à 3 h du matin et tu vas avoir des étoiles dans les yeux des gens.

Alexandra: Ok, c’est vraiment cute, mais ça me semble quand même pas mal précis comme exemple. Roxanne tu parles-tu de toi là?

Roxanne Hallal: 100 %! (rires) Genre mon sac à dos est toujours énorme quand je me promène dans les festivals. Puis comme je vais être la fille qui va juste sortir une belle roche pis être comme : tiens. Ou genre, je vais avoir amené des Krispy Kreme, je vais juste aller sur le dancefloor pis être comme :  tu veux tu un Krispy Kreme (rires). Honnêtement, c’est genre mon gros fun.

Laurie: Peut être qu’on a sombré dans ce qu’on disait au début, la vision ultra positive, que c’est juste le fun consommer toutes sortes de drogues et compagnie. Mais faut aussi prendre en compte que c’est pas nécessairement facile pour tout le monde de naviguer dans ces espaces-là, où la consommation serait par exemple plus du tout un tabou, qui serait discutée même, ou même dans les espaces actuellement où ça consomme déjà beaucoup, ne serait-ce que de l’alcool. Il y a des gens qui ont besoin de ne pas voir plein de monde consommer autour d’eux pour rester sobre. Et il y a des gens pour qui rester sobre, c’est la seule façon de garder un contrôle sur leur vie. Puis cette solution là, je l’ai pas exactement, sur comment ça peut se faire. Mais ça me fait quand même penser par exemple à la scène punk straight edge, qui se construisait autour de ça, entre autres, et qui mettait carrément de côté la consommation d’alcool, puis qui parlait de ne pas consommer dans les tounes. Je la connais pas assez pour vraiment en parler, mais je sais que ça se fait.

Alexandra: Puis en plus, les endroits de consommation normatifs, pour les personnes qui choisissent de pas consommer, ça doit vraiment pas faire un contexte où justement tu te sens relax puis tu sens que tu peux avoir du fun puis décrocher. Ces personnes-là doivent constamment se justifier de leur choix de ne pas consommer, expliquer pourquoi. Les gens souvent insistent pour qu’iels consomment. Puis c’est vraiment un effet miroir en fait de ce qu’on dénonce depuis tantôt, qui est de devoir justifier le fait que consommer c’est correct aussi et que c’est pas la fin du monde.

Laurie: Faut toute justifier, à la place de juste se laisser l’espace de prendre nos décisions chacun de nos bords comme on a besoin.

Alexandra: Je trouve aussi que, tu sais, juste être dans un contexte de fête, ou juste d’être dans un contexte de show mettons de musique, je sais pas si j’exagère, mais c’est quand même quasiment un buzz en fait d’être dans une foule dans un show musique. Je trouve que c’est comme hors de la réalité, puis hors du quotidien déjà à la base, tu sais. Puis j’imagine quand tu es sur le stage, ça doit être comme encore plus fou, comme sensation ou comme buzz.

Laurie: Quand j’ai pas joué depuis trop longtemps, ça me manque, tu sais. En bas d’une fois par mois mettons, il me manque quelque chose. Il manque une partie de ma vie. J’ai besoin de jouer. C’est vraiment, c’est vraiment comme un craving. Tu sais, moi j’ai choisi de ne plus consommer en jouant, ou vraiment peu, quitte à consommer après si ça me tente. C’est sûr que c’est parce que je veux être en mesure de performer à mon meilleur, mais aussi parce que le thrill de jouer sur une scène, de voir la foule en avant de toi chanter les paroles, c’est déjà tellement surréel. On en veut toujours plus, on veut aller plus loin. Puis ça, ça nous permet de se dépasser en tant qu’artiste de scène aussi, puis de donner des shows de plus en plus flamboyants. Vraiment, à mesure que le party lève dans la salle, là, le buzz monte sur le stage aussi, la foule nous drive avec son trip. C’est vraiment un gros boost d’adrénaline, c’est super enivrant. 

(Intermède musical)

Alexandra: Maudit que c’est intense pis le fun ces moments-là! Puis maudit que le reste du quotidien, il est drabe à côté. (rires). C’est quand même quelque chose que ces moments de fête puis de complète déconnexion d’avec notre quotidien doivent vraiment rester des univers fermés. Tu sais, des bulles, carrément. Tu sais, ça peut être rassurant et nous permettre de vraiment nous abandonner, comme disait Roxanne au début de l’épisode. Mais je me dis que, tu sais, si le monde était moins dur et qu’on n’était pas obligés de travailler aussi dur pis de se battre comme autant de maudits démons tout le temps, bien, le party pourrait peut-être être un petit peu plus tout le temps. On pourrait genre faire, faire éclater la bulle, puis vivre dans une douce fête éternelle (rires) avec des montagnes russes des fois. 

(Intermède musical)

Natasha Kanapé-Fontaine: 

Sensible

À la lumière

Mes yeux se tournent vers les lustres

Où les lucioles émettent un cri

Entendu au ralenti

Sobre

Tout est sombre dans les recoins

Mais c’est ici que j’habite

Les toiles d’araignée et la poussière

Sont les sentinelles du pays

Intérieur où je me tiens

Auquel je promets loyauté

Et résistance

C’est ici que j’habite

Où assiégée était synonyme d’aveugle

Je recouvre mes empreintes

Les vagues respirent

Sur le sable d’une rive où a échoué

L’opacité.

Je suis libre

Quand j’ouvre les yeux.

(Intermède musical)

Alexandra: Il est 4 h du matin, le party est officiellement fini. Il est temps de retourner chacun chez nous, ou chez qui bon consent clairement à notre visite. Il n’y a pas de walk of shame aujourd’hui, la gang, tout est correct.

Laurie :  Vous venez d’écouter Tournée de fruits sur le dancefloor, le deuxième et dernier épisode de notre minisérie sur la consommation. Dans les prochains épisodes, on s’en va pas si loin. On parle de justice, de sécurité, de police, de prison, mais aussi d’art pis d’espoir. 

Alexandra: Si vous avez aimé cet épisode, on vous invite à en parler avec vos proches et à le partager sur les réseaux sociaux ,ou à nous donner des étoiles sur les applications, ça fait rayonner toutEs ou pantoute. 

LP: Merci à Roxanne Hallal pour son expertise et ses réflexions. Vous avez entendu des poèmes originaux composés et lus par Natasha Kanapé Fontaine. Vous avez entendu la musique de Laced, d’Après l’asphalte et de Lady Rouge, et des textes de Marie Darsigny et de Josée Yvon, lus par Émilie Duchesne. L’illustration de l’épisode a été réalisée par Audrey Beaulé. Merci à Aube et Wille Perron-Forcier pour leur mignonnerie, à Sarah Grenon et Pierrette Coulombe pour les anecdotes et réflexions. 

Un merci spécial à Arielle Cissy Loe et à Jérôme Magny pour leur apport à nos réflexions.

Alexandra: toutEs ou pantoute est créé, réalisé, produit et animé par Laurie Perron et Alexandra Turgeon. Avec Jenny Cartwright, conseillère à la scénarisation et à la réalisation. Marie-Eve Boisvert, Laurie Perron et Alexandra Turgeon au montage. Sylvaine Arnaud à la conception sonore avec une musique originale d’Ariane Vaillancourt. À la recherche et la coordination, Alexe Allard, Eve-Laurence Hébert et Wina Forget. Promotion et gestion des médias sociaux par Melyssa Elmer. Illustration originale du balado par Odrée Lapperrière et graphisme par Marin Blanc.

Laurie: La 4e saison de toutEs ou pantoute a été rendue possible grâce au soutien financier du Conseil des arts et des lettres du Québec. Nous remercions le Conseil des arts du Canada de son soutien.