Épisode 6 : Admission générale pour le grand bal – un épisode sur l’identité et l’appartenance
Laurie: C’est quoi une famille?
Enfants: C’est quelqu’un qui a fait des enfants et là c’est la même famille. Mais Aube, il y a aussi un tyrex!
Laurie: Willie, nomme-moi tout le monde qui est dans ta famille.
Enfants: Aube, Laurie! Hum François, Willy. Euh Marcel, Plume et aussi Michat.
Laurie: Et aussi Michat?
Enfants: Oui, Michat, c’est le chat de nous!
Laurie: « Longtemps, je me suis couchée tard. Jusqu’à l’âge de 36 ans pour être exacte. Depuis toute petite, j’ai toujours été du type oiseau de nuit, pas couchée-pas-couchable. Cette tendance naturelle s’est montrée plutôt pratique quand, adulte, j’ai voulu trouver ma place dans la queerness. La famille queer, je l’ai d’abord et surtout trouvée dans le nightlife: les événements lesboqueer, les soirées dansantes, les gender-b(l)ender et autres fêtes dans des appartements collectifs.
Le jour de mes 36 ans, ça a changé. Comme cadeau d’anniversaire, j’ai mis au monde un petit humain tout neuf. D’un coup, mon accès à la vie nocturne a fondu comme peau de chagrin. Malgré mon intention initiale que la maternité ne change rien à mon mode de vie, j’ai vite constaté qu’un bébé, ça a son rythme propre, qu’il faut apprendre à écouter.
Avec ce nourrisson bien attaché à moi par une solide tresse de lait, d’hormones et d’amour, le centre gravitationnel de ma vie s’est rapidement déplacé. Moi qui étais toujours à papillonner entre mille endroits, l’envie de ne rien manquer en bandoulière, je me suis du jour au lendemain retrouvée à passer le plus clair de mon temps à la maison. […] Pour moi, faire famille, ça signifie faire partie d’une toile richement brodée et tissée serrée de liens affectifs, matériels, quotidiens. […] J’ai fait le pari qu’il était possible d’emmener mon enfant dans ma vaste et complexe famille choisie plutôt que d’envisager sa naissance comme l’événement fondateur d’une nouvelle famille nucléaire. » – Fanie de la Fresne, Faire famille hors les murs. L’agenda des femmes 2023.
(Intermède musical)
Alexandra: Ici Alexandra Turgeon.
Laurie: Et Laurie Perron.
Alex et Laurie: Vous écoutez toutEs ou pantoute.
Laurie: Saison quatre, épisode six : Admission générale pour le Grand bal.
Natasha Kanapé-Fontaine:
Nin u mishtik e tshemeshet shinit
Nika uapeten tshishkueinitakuak
Muk nika nanipaun
Nitapuetuaut Innut
Kie nitapueten uashkut
Nititan anite shipua
Kie anite e nutik
Alexandra: Pour le dernier épisode de la saison, on revient à nos bases, littéralement. Pour celleux qui nous écoutent depuis un bout, vous savez qu’on réfléchit beaucoup…
Laurie: Trop peut-être ? (rires)
Alexandra: …aux liens, entre d’où on vient, où on va, et qui on est. On est deux personnes qui ont grandi en région éloignée et qui ont changé de milieu de vie depuis. Puis on pense beaucoup à la façon dont la ruralité et l’éloignement des grands centres a modelé notre personnalité et nos choix de vie.
Laurie: On est aussi deux personnes qui ont été assignées femmes à la naissance et on a chacun.e à notre façon questionné notre identité de genre, puis notre orientation sexuelle. Puis on pense souvent à la façon dont ça aussi, ça a affecté notre parcours, puis qui on est aujourd’hui. Puis on passe aussi pas bien bien de semaines, slash de journées, sans revirer de bord notre sentiment par rapport à nos configurations relationnelles, d’amitié, d’amour, de famille.
Alexandra: Oui, vraiment (rires) Puis c’est arrivé souvent aussi, qu’on se sente à part, qu’on se sente pas fiter, qu’on se demande pourquoi on est pas normal.e.s. Même si dans les critères comme normatifs de société, on n’est pas particulièrement anormal.e.s, ça n’en prend pas gros pour pas se sentir dans la gang en fait, entre autres quand on passe pas par les mêmes étapes que les autres au même âge. Tu sais, avoir une maison, des enfants, une vraie job, un premier amour, savoir ce qu’on veut faire dans la vie. Comme si la vie c’était une partition et qu’il fallait tout le temps être sur le temps.
Laurie: Il y a pas moyen, on est pas des métronomes, cibole. (rires).
Alexandra: Ouais, la société est comme vraiment bonne pour nous faire sentir qu’il y a un mode d’emploi pour être une personne normale qui appartient à la société, même si c’est full normal de ne pas toutEs être à la même place en même temps.
Laurie: Oui, puis c’est tough de sentir qu’on fite pas, qu’on ne peut pas tout à fait être nous-mêmes à 100 % et avoir de la misère à trouver sa place. Puis ça nous a fait nous demander comment ça qu’on a à ce point-là besoin de se sentir appartenir à quelque chose, à des groupes? À quoi ça sert ce sentiment-là? Est-ce que ça vient de base avec le fait d’être humain, humaine? Fait que à la place de juste demander à Wikipédia comme c’est pas tout à fait notre habitude, on a décidé de demander à une chercheuse en psychologie qui étudie exactement ça.
Maya A. Yampolsky: Je m’appelle Maya Yampolsky et je suis professeure agrégée à l’Université Laval en psychologie interculturelle. L’appartenance est un besoin fondamental pour chaque humain. On est des êtres socials, on dit ça souvent, on est des êtres socials, on est créé pour être connecté.e.s aux autres personnes. Donc l’appartenance c’est notre connexion avec les autres. Donc c’est important d’avoir des connexions positives qui comblent nos besoins de proximité, de sécurité. Si on a pas ça, on se sent pas en sécurité.
Alexandra: Dans le fond, l’appartenance c’est en quelques sortes nos racines. En général, la littérature en psychologie reconnaît l’importance du sentiment d’appartenance pour la santé mentale et pour le développement. Il y a plusieurs décennies de recherche empirique qui ont montré qu’un sentiment de se sentir à sa place, de faire partie d’un groupe, d’une communauté, ça nous fait sentir en sécurité et c’est vraiment positif pour la santé mentale. Puis c’est un facteur de motivation qui nous protège aussi de la dépression.
Laurie: Notre premier lien d’appartenance quand on entre dans la vie terrestre, c’est la famille. Puis, pour qu’on amorce notre développement d’une manière idéale, notre famille serait là pour nous, peu importe nos choix, peu importe qui on est. Se sentir compris par notre famille dans l’enfance puis dans l’adolescence, ça donne un terreau fertile pour découvrir qui on est et avoir confiance en nous et en nos capacités.
Barbada: « Fourchon n’était ni une fourchette pointue, ni une cuillère toute ronde, mais un peu des deux. Il avait un papa et une maman qui le trouvaient parfait comme ça. Mais Fourchon détonnait. Dans sa cuisine les fourchettes étaient des fourchettes et les cuillères étaient des cuillères. Les coutumes de la coutellerie étaient respectées à la lettre. Bon, bien sûr, il y avait quand même quelques rebelles, des couteaux amoureux de baguettes chinoises, des pinces qui avaient épousé des fourchettes, mais ce genre de famille était rare. » – Isabelle Arsenault et Kyo Maclear, Fourchon, La Pastèque.
Laurie: Bon, on pousse tu la note en vous amenant à l’heure du conte avec nos familles? C’est parce que notre deuxième invitée est comme une spécialiste pour explorer tout l’éventail des identités possibles en passant par le conte et les histoires avec les enfants. Si vous êtes aussi fan que nous, vous l’avez peut-être déjà reconnue, c’est la dragqueen Barbada, personnifiée par Sébastien Potvin. On l’a rencontrée pour jaser de son rapport à l’identité, l’appartenance, puis la famille. Elle nous a entre autres parlé de l’importance des chosen family dans les communautés LGBTQI2A+ où encore trop souvent des familles rejettent les jeunes au moment de leur coming out, ce qui peut mener à la création de familles choisies en s’associant à des gens qui les comprennent, ont des parcours similaires ou ont vécu les mêmes défis.
Barbada: C’est la recherche d’un safe space, la recherche d’un endroit où tout le monde se comprend. On est passé à travers des défis, des challenges similaires et puis on se sent pas rejetés non plus. Et comme l’art de la drag, souvent au sein de la communauté LGBTQ, eh bien le principe de famille de drag aussi est intimement relié à ça également: souvent, notre art est méconnu quand même, à part des gens dans la communauté drag, ça fait en sorte qu’on n’a pas le choix d’avoir une famille de drag choisie pour nous aider à se développer et nous aider à nous donner des trucs aussi qu’on peut pas vraiment nécessairement aller chercher dans d’autres formes d’art qui comprennent peut-être un peu moins l’art de la drag. Je suis mère, mais j’ai pas moi-même de mère. J’ai une fée marraine, Ivy, qui m’a un peu pris sous son aile, mais je dirais pas d’une façon d’une mère plus d’une façon d’une fée marraine. Quoi qu’il en soit, j’ai moi-même par contre adopté des filles. La première, Peggy Sue qui elle aussi s’en va sur ses quinze ans, je pense, de carrière, peut-être même un peu plus. Donc j’étais jeune quand je l’ai adoptée. Et Gabrielle, une drag de Québec qui a vraiment une carrière fabuleuse.
Laurie: Je pense de plus en plus aussi à l’importance de la famille choisie dans le développement de nos familles biologiques. Choisir d’avoir des enfants, même de façon biologique, ça se fait à l’intérieur de nos familles choisies aussi en quelque sorte. Tu sais, c’est à la maison d’un couple d’amiEs que j’ai ramené mon premier bébé. J’habite avec une amie et son enfant. C’est aussi des amiEs qui gardent le plus souvent mes enfants et c’est eux qui sont des figures de confiance, tu sais. La distance avec ma famille biologique, moi, elle est plus géographique là, je peux compter sur leur soutien même si au quotidien ils sont pas là. Mais je pense aux gens qui ont vécu des expériences de rejet par leur famille biologique ou qui ont dû s’en éloigner pour sauver leur peau ou leur santé mentale. Mais pour tout ce monde-là, comme pour moi d’ailleurs, la famille choisie peut devenir le berceau de la famille biologique, réellement.
Alexandra: Vraiment, autant pour les adultes que les enfants. C’est vraiment intéressant parce qu’il y a une recherche par Line Chamberland et Sophie Doucet qui a été fait récemment sur les relations familiales des personnes qui ont des identités de genre ou des orientations sexuelles non binaires, qui nous apprend qu’on n’a pas nécessairement besoin de passer par l’expérience d’avoir été rejetéEs ou de couper les liens avec notre famille d’origine pour avoir besoin d’une famille choisie. Dans leurs recherches, elles ont constaté que peu importe si la relation est perçue comme bonne ou mauvaise avec leur famille d’origine, les jeunes adultes non-binaires vont avoir tendance à se former une famille choisie, de toute façon, qui va les comprendre puis accepter pleinement leur identité. Mettons, contrairement à leur famille d’origine qui peut juste manquer de clés de compréhension et de référents. Fait que cette famille choisie là va combler quelque chose qui manque dans la société puis dans les proches, une compréhension du vécu, une histoire similaire, des références culturelles, etc. Parce que dans le fond, la plupart des humains, sinon tous les humains, on a des identités multiples. Par exemple, on peut être blanche, lesbienne et neuroatypique, ou on peut être un homme trans latino, une personne dont un parent est blanc, l’autre racisé. Puis toutes ces facettes identitaires là forment la personne qu’on est, puis viennent avec des défis et des façons d’exister dans le monde qui ne sont pas les mêmes. Puis ça vient avec un bagage culturel aussi. Puis dans le fond, qu’est ce qui est important, c’est sentir que toutes les facettes de notre identité sont valides.
Laurie: Maya A. Yampolsky nous explique plus en profondeur les conséquences que la discrimination, le racisme, le sexisme, etc. peuvent avoir sur le développement et la santé mentale des humains.
Maya A. Yampolsky: Donc il y a des conséquences multiples et tristes quand nous vivons un rejet de nos propres identités. On vit une détresse, on peut vivre la dépression, on vit aussi un manque de sécurité et manque d’appartenance aux autres personnes et une déconnexion par rapport à nos proches puis par rapport à nos communautés. On peut vivre aussi le fait dans notre soi de croire les messages négatifs et déprimants envers nos identités. Donc on peut vivre une intériorisation, une internalisation de ce message. On peut aussi vivre un conflit identitaire, beaucoup de stress, de compartimentation. On peut se sentir vraiment fragmenté entre les parties de nous et se sentir indésirable.
Barbada: Quand tu es au secondaire, quand tu es dans ta jeunesse, de déjà te sentir différent, exclu, des fois, ça peut être c’est très challengeant parce qu’à cet âge-là, tout ce que tu veux, c’est faire partie de la gang et sentir que t’es accepté.
Laurie: Bon, comme on l’a dit tantôt, la plupart des humains ont des identités multiples. Mais dépendant du contexte et de la façon dont la société accepte ou rejette certaines de ces identités-là, mais on a plusieurs façons de les gérer en nous-mêmes aussi. Puis c’est clair que quand on fait partie de plusieurs communautés ou qu’on a plusieurs coches d’identités qui s’empilent…
Alexandra: Ou qui s’intersectionne ?
Laurie: Ouin, c’est vrai, je pense, c’est pas mal drette ça, la notion d’intersectionnalité… En tout cas, justement, on a demandé à Maya comment on fait pour dealer avec toutes ces facettes-là au quotidien.
Maya A. Yampolsky: Quand on a plusieurs identités, c’est normal qu’on a une manière de trouver comment elles fittent ensemble. Puis il y a plusieurs manières qu’elles fittent ensemble. On les appelle les configurations identitaires. On peut décider que les identités sont juste tellement différentes qu’on fait un choix entre les deux. Souvent, c’est parce qu’on est forcé.e.s à faire un choix entre les deux. On peut garder nos identités multiples, mais les garder dans les compartiments. Donc on appelle ça comme la compartimentation. Quand on est dans un certain contexte, une identité pourrait être activée, mais on essaie vraiment de supprimer l’autre. Donc si je suis une personne qui est comme queer et je suis dans un contexte qui est straight, je vais peut-être activer mon identité culturelle canadienne n’importe quelle identité, mais je vais aussi essayer de pas montrer ou pas partager cette partie de moi-même avec les autres personnes. C’est à cause du fait qu’on vit la marginalisation, la discrimination, l’oppression sociale. On a tendance à dire si ce n’est pas acceptable, je serais comme en danger si je montre cette partie de moi. Pis c’est réaliste parce qu’il y a des crimes de haine, il y a des manières d’être exclu.e.s, il y a des personnes qui sont abandonnées de leur famille et donc là, il faut se protéger.
Barbada: « Un jour, après s’être fait demander pour la millième fois »Mais qu’es-tu au juste? » Et après s’être vu refuser l’accès à la table pour la millionième fois, Fourchon soupira et il se dit « C’est sûrement plus facile de n’être qu’une seule chose! ». Alors il se résolut à choisir. » – Isabelle Arsenault et Kyo Maclear, Fourchon, La Pastèque.
Alexandra: La compartimentation et le rejet de certaines parties de son identité, ça peut être vraiment difficile à vivre. Avoir à renoncer à une partie de soi dans certains contextes, c’est déchirant et c’est pas juste. Et ça empêche le sentiment d’acceptation et de compréhension de la communauté dont on a besoin. Parce que manifestement, notre communauté n’est pas capable de nous laisser être nous-mêmes.
Émilie Duchesne: « parfois tu croises des visages qui t’en rappellent d’autres que tu as aimés et perdus. ta grand-mère dans sa sœur, un ami d’enfance égaré dans le serveur qui s’occupe de ta table. tu écoutes un peu distraitement, tu parles comme pour retenir ces visages, et avoir l’occasion de t’y perdre. à un moment donné la conversation se termine, on te tend l’addition, tu devrais partir, mais une envie de rester te retient, tu arranges une relance, tu poses une question ou commande un dessert, tu t’accordes le droit de rester près de ce qui t’apaise » – Camille Raedman-Prud’homme, Quand je ne dis rien, je pense encore, aux éditions L’oie de Cravan, p. 46.
(Intermède musical)
Alexandra: Si le contexte est favorable et que notre milieu est accueillant, c’est aussi vraiment possible de vivre d’une manière positive le fait d’avoir une multitude d’identités parce qu’il y a tellement rien de mauvais là-dedans, en fait, c’est vraiment une richesse si on peut juste avoir l’espace pour le vivre.
Maya A. Yampolsky: Il y a une autre configuration qui s’appelle intégration. Donc quand on a comme l’intégration de nos identités, ça veut dire qu’on a plusieurs identités, mais qui sont connectées entre eux. Donc on voit qu’il y a les similarités. On voit que les différences entre les identités sont complémentaires, donc on se sent plus cohérent.e.s. On se sent plus comme complète, comme personne. Et même si on est dans un contexte où une de nos identités est plus activé que l’autre, on se sent pas qu’il faut effacer l’autre identité ou cacher l’autre identité. Je pense encore aux identités queer pour les personnes qui sont aussi comme des personnes racisées, et le fait que l’identité queer avant la colonisation, c’était célébré, il y avait tellement des différentes variations de queerness dans le genre, dans la sexualité pour les personnes qu’on aime, etc. Des configurations relationnelles aussi, donc le polyamour… Donc tout ça, ça a existé dans différents groupes culturels avant la colonisation, puis avec la colonisation, il y avait tellement une force opprimante d’effacer ces différentes pratiques, effacer ces différentes identités, que là, à travers les générations, les différents groupes culturels des différents pays ont internalisé ce message de être queer, c’est honteux, être comme non-binaire ou être transgenre, c’est affreux. Faire comme polyamoureux, comme des connexions qui sont non monogames, c’est un péché. Donc tout ça c’était intériorisé à travers la colonisation pour les générations. Et donc de savoir que la continuité culturelle intersectionnelle de queerness peut venir d’une culture différente de celle de l’Occident, ça nous permet de voir qu’on a toujours existé. On a toujours fait partie de ça, on était célébré.e.s dans le passé, c’était avec la marginalisation qu’on est effacé.e.s, et pas les valeurs culturelles en tant que telles. Donc on peut réclamer notre espace dans nos propres cultures.
Alexandra: Ça, c’est complètement fou, pour toutes sortes de raisons, mais entre autres parce qu’on est tellement convaincu.e.s en Occident qu’on est les super héros qui vont apprendre le féminisme aux pays du Moyen-Orient. C’est quand même incroyable, sachant ça, d’entendre les politiciens répéter à tort et à travers que les immigrants, les immigrantes doivent apprendre en arrivant au Québec l’égalité et le respect de tous les genres, puis de souligner de façon même pas si implicite que ça que les pays d’Asie et d’Afrique sont patriarcaux, puis misogynes. Ça me fait capoter l’hypocrisie et la supériorité morale des états occidentaux par rapport aux notions de genre et de sexualité. En tout cas, c’est dit. Mais Maya parlait de continuité culturelle un petit peu plus tôt et je pense que ça vaut la peine qu’on l’entende nous définir ce concept-là un petit peu plus clairement.
Maya A. Yampolsky: La continuité culturelle, ça fait référence au fait qu’on a un récit de notre vie qui commence pas juste avec notre propre vie individuelle. Ça commence avec nos parents, nos grands-parents, tous nos ancêtres, puis les communautés desquelles on provient. Donc c’est de s’orienter vers qui est-ce que je suis, d’où est-ce que je viens? Et il y a toute une histoire de chaque personne et de chaque communauté qui fait partie de comment nous sommes arrivé.e.s sur notre Terre. Si on n’a pas une continuité culturelle, on est un peu pris avec un fait de se sentir comme désorienté.e.s dans notre propre vie. C’est à travers la colonisation et les mouvements d’assimilation qu’on crée une coupure entre notre propre expérience culturelle et celle de mes ancêtres. La culture c’est dynamique, ça va changer comme tout change avec le temps. Mais il y a toujours comme des noyaux, des graines, qui sont toujours comme présents. On peut voir que la graine c’est devenu comme une plante qui est devenue comme un arbre qui a créé comme des grosses branches, qui a créé les fruits. Donc il y a comme la continuité, qui est comme les étapes entre chaque partie de notre vie et chaque partie de notre histoire. Et on peut voir que s’il y a une force, comme l’assimilation, comme la colonisation, comme l’esclavage, comme le déplacement forcé, ça coupe l’arbre. Donc on n’a pas comme une manière de porter les fruits parce qu’on n’a pas les connections à qui nous sommes. Puis on dit qu’on est pas bon, qu’on n’est pas désirables, on intériorise comme les messages déprimants envers nous. Donc c’est difficile de réclamer ça, mais c’est possible.
(Intermède musical)
Alexandra: Ok, vous allez peut-être trouver que j’ai une obsession avec le premier ministre et ses multiples frasques. Mais est ce que dit Maya ça me fait penser aux Noëls qu’on a vécu pendant les périodes de confinement. Le gouvernement du Québec était convaincu de l’importance de maintenir les traditions des fêtes de famille, des regroupements et des messes de minuit et a tout essayé pour qu’on ait quand même un Noël le plus « normal » possible. Les membres du gouvernement, ils comprenaient que le maintien des traditions culturelles, c’est positif pour les individus et c’est positif pour la société québécoise. Le problème, c’est que pour notre premier ministre, la société québécoise est blanche puis laïque, d’ascendance catholique. Et les autres, ben ils doivent s’intégrer dans nos traditions à nous, tout simplement.
Laurie: Oui, parce qu’ils font partie de la marge. Mais tu sais, la marge, c’est pas un lieu, c’est pas un objet, ça n’a pas d’existence concrète. C’est un statut qui a été construit parce que des gens ou des groupes qui ont plus de pouvoir que d’autres ont décidé que eux étaient la norme, puis que les autres donc étaient moins importants, nuisibles ou même dangereux. C’est quelque chose qui me choque bien gros. Ben justement, Barbada nous parle de son expérience personnelle, de cette ô combien abstraite, mais bien réelle marge.
Barbada: Dès que j’étais né, en fait, j’étais dans la marge. Tu sais, un enfant noir d’une mère blanche, né à Beauport, en banlieue de Québec. Je veux dire, j’avais même pas crié mon premier cri de bébé que j’étais déjà dans la marge. J’étais dans une école primaire minuscule en cinquième année, là, on était douze dans toute l’école. Je suis arrivée au secondaire un an plus jeune que tout le monde. J’étais dans la marge à ce moment-là. J’aimais des activités que les gars de mon âge, ben qui n’étaient pas de mon âge, forcément, ils étaient plus vieux, mais qui n’aimaient pas faire. Je m’étais inscrit au cours de tricot, bref, je me dis, ben câline, j’imagine que ça a presque toujours été ça, mais pour moi, c’est tellement naturel, je le vois même pas, je le constate pas, tu sais. Alors encore moins le fait d’être noir par exemple. Moi ça a pris jusqu’au cégep avant de réaliser, que quelqu’un me fasse réaliser, que j’étais noir. C’est niaiseux à dire, mais c’est parce que, c’est quelqu’un qui m’a dit: « Je suis tellement content d’être dans un cégep multiculturel et avoir des gens de toutes les cultures comme toi. » Puis il m’a pointé. Moi j’ai faite, « Comment ça moi? » Je suis né à Beauport en banlieue de Québec, je me sens pas dans cette culture, je me sens pas différent. Mais pourtant, dans la tête de cette personne-là, je l’étais à cause de ma couleur de peau évidemment. Et là, c’est là que j’ai fait, mais oui, c’est vrai. Peut-être que pour cette personne-là, je suis dans cette catégorie-là. Je ne peux pas changer ma couleur de peau. Je vais accepter que pour certaines personnes, suis dans la marge à cause de ma couleur de peau, mais je me sens pas dans cette marge-là. Je le sens pas, tu sais.
(Intermède musical)
Émilie Duchesne: « avec certaines personnes tu te disloques parce qu’avec elles, le lieu d’où tu parles apparaît si reculé que pour devenir intelligible il te faut le quitter. entre vous il y a une différence qui cache peut-être la décision d’une distance. tu te dédoubles, tu dis des phrases que tu ne penses pas, mais ceux t’accuseraient de manquer de sincérité auraient tort, car entre mentir et ne pas pouvoir dire il y a un écart. ce qui t’importe reste en toi, tu ne tends rien de proche, non par avarice mais par douleur, parce qu’offrir ce qui t’anime à quelqu’un qui le laisse choir te déchire, et insister te gêne, alors tu parles à côté. tu te rabats sur ce qu’on dit, tu déplaces ce que tu entends d’une conversation à l’autre de la même façon que tu déplaces les objets des magasins aux maisons lorsque tu cherches un cadeau à donner et que, découragé de poursuivre une évidence qui n’apparaît pas, tu achètes un truc qui t’indiffère. tu participes à l’encombrement général, tu en as un peu honte mais tu ne pourrais faire autrement. » – Camille Raedman-Prud’homme, Quand je ne dis rien, je pense encore, aux éditions L’oie de Cravan, p. 45.
(Intermède musical)
Maya A. Yampolsky: Dans la société, quand on dit aux gens qu’on ne peut pas appartenir à plusieurs identités, on leur dit : OK, tu devrais comme choisir entre les deux. Donc ça force la personne à faire des choix entre des parties qui sont également significatives pour chacun, ou de faire la preuve de leur loyauté, de leur appartenance à chaque fois. Donc ça les remet dans une pression sociale énorme au lieu d’accepter le fait que la complexité humaine c’est naturel, c’est normal, qu’on a tous des différents rôles, on a tous des différents groupes sociaux et que c’est la richesse au lieu d’une menace.
Barbada: « Il pensa d’abord qu’il fallait changer de tête. Il se coiffa d’un chapeau melon pour se donner un air de cuillère. Mais les fourchettes le jugeaient trop rond. Il se fabriqua alors une couronne de papier pointu pour avoir une tête de fourchette. Mais les cuillères le jugèrent trop pointu » – Isabelle Arsenault et Kyo Maclear, Fourchon, La Pastèque.
Maya A. Yampolsky: Le code-switching c’est un terme qu’on utilise pour indiquer que les personnes changent leur comportement dépendamment du contexte. C’est nommé pour les personnes noires qui devraient être dans un milieu de travail super blanc et donc ils devraient comme se comporter différemment, s’habiller différemment. On appelle ça respectability politics. Puis quand ils sont chez eux, finalement, on peut juste être soi-même, être noir.e, comme être dans sa culture. Le fait de frame-switch, ça c’est le côté identitaire. Donc le fait de basculer entre les cadres identitaires, c’est quelque chose de normal. C’est un processus identitaire des personnes qui sont biculturelles ou qui ont plusieurs identités sociales, où une identité est plus activée. Donc on a tendance à s’adapter, notre comportement aussi. Et ça c’est adaptatif, c’est flexible, c’est de montrer comme OK, il y a comme une flexibilité dans mes identités et la manière que j’exprime.
Laurie: Et ça, tout le monde le fait. On peut être le clown de service dans un groupe d’ami.e.s, puis l’employé.e le plus sérieux du monde au bureau sans qu’on soit en train de se mentir à nous même. C’est pas parce que moi et Alex, on peut passer 2h à chercher le lien ténu entre deux réflexions philosophico-théoriques sur l’amitié que je vais faire la même affaire dans mes jasettes entre deux tounes avec mes chums de karaoké. Tout le monde frame-switch. On met de l’avant certaines facettes de nous-mêmes, dans certains contextes qu’on trouve plus opportuns. C’est une capacité d’adaptation, tout simplement. Le problème, c’est quand on doit absolument frame-switcher consciemment pour se protéger des répercussions négatives.
Maya A. Yampolsky: Dans le contexte de marginalisation, on fait le code-switching pour survivre, pour être perçu comme le plus proche du mainstream, comme être plus désirable, parce qu’il y a des pouvoirs qui déterminent ce qui est désirable et ce qui est non désirable. Donc pour être accepté.e, pour avoir accès aussi aux espaces du travail et des espaces d’écoute des autres personnes, il faut aussi comme adapter ou changer notre comportement pour être perçu.e comme acceptable. Mais les autres personnes, quand elles voient qu’il y a une personne qui est en train d’être flexible dans son expression du soi, les perçoivent comme s’iels sont moins authentiques et peut-être aussi comme moins loyaux à son propre groupe.
Laurie: Ça c’est le fameux « je te reconnais pas quand t’es avec ses amis là ». Bien évidemment, quand on ne peut pas exprimer certaines parties de nous dans nos relations avec certaines personnes, c’est bien normal qu’elles soient surprises. Puis il y a l’impression que ça sort de nulle part quand ils nous voient les exprimer clairement avec d’autres. Puis aussi, si être authentique c’est dangereux pour le lien relationnel, par exemple dans le cas des personnes queer dans des familles puritaines ou même j’oserais dire de personnes croyantes dans les milieux féministes supposément radicaux des fois, ben il y a aucune chance qu’on donne accès à notre entière personnalité à ces cercles-là. Puis tout ça, ça nous amène à un autre concept, celui de la double marginalisation que nous explique à l’instant Maya.
Maya A. Yampolsky: La double marginalisation, c’est le fait que quand on appartient à plusieurs groupes qui sont stigmatisés, qui sont marginalisés, on vit encore plus de marginalisation. Donc le fait d’être par exemple queer et racisé, le fait d’être d’une classe plus basse économiquement et aussi queer. Mais c’est aussi le fait que on peut vivre la marginalisation à l’intérieur de chacun de nos groupes. Donc si on est queer mais on est racisé, donc dans nos communautés queer, on peut vivre le racisme. Quand on est dans notre communauté culturelle, on peut vivre aussi la queerphobie, donc on se trouve avec moins de ressources et avec moins de personnes avec qui on se sent en sécurité. Ça réduit comme notre capacité à connecter avec les autres en sécurité.
Alexandra: Pis c’est tough parce que les dynamiques d’oppression s’immiscent aussi dans la sphère intime. Puis Maya Yampolsky est tellement bigshot comme chercheuse qu’elle a créé un concept qui s’appelle le racisme intime, qui parle de ça.
Maya A. Yampolsky: C’est le racisme qu’on vit par nos proches, donc nos ami.e.s, nos familles, nos amoureux.ses. Et il y avait pas de recherches avant pour reconnaître le fait que ça pourrait se passer. C’était pour nommer le fait que ça entre dans notre intimité, dans la proximité, ça entre dans nos liens qui sont proches avec les personnes qui nous aiment, que nous pensons qu’on est comme en sécurité avec, mais en réalité, comme eux ils ont aussi internalisé le racisme et donc ça s’exprime dans le couple. Je l’ai vécu personnellement comme dans d’anciennes relations. Mes ami.e.s ont vécu ça dans leur famille, avec nos ami.e.s, avec nos amoureux.ses. Donc j’ai voulu comme mettre ça sur la conscience des gens, que c’est pas comme : oh, on a juste le racisme, comme des crimes de haine dans l’extérieur, moi je suis une bonne personne, moi je t’aime donc on est correct. C’est le fait que si je t’aime, il faut que je t’honore, il faut que je mette l’effort pour déconstruire ma propre intériorisation de racisme, pour se remettre en question avec mes propres stéréotypes, pour se demander comme, est ce que je t’aime mais j’ai des attentes qui sont injustes? Est-ce que je dis des choses qui sont juste une réplication de l’oppression mais dans notre intimité?
Les êtres humains ne sont pas passifs, ce sont des acteurs vraiment créatifs dans leur propre vie. Puis il y a la capacité de s’imaginer une autre vie, une autre manière de faire. Donc c’est de cette manière qu’on surmonte la marginalisation. Donc on voit que les personnes qui vivent la marginalisation peuvent se retrouver avec des chosen family. Donc les familles qui sont choisies. On se trouve avec d’autres personnes qui sont métisses, qui comprennent l’expérience de double marginalisation de ne pas être compris dans la société. Donc de trouver les autres personnes avec qui on peut se sentir en sécurité, qui font partie de nos communautés, mais aussi qui font partie des autres communautés, qui sont marginalisées de différentes manières, mais on vit comme une expérience similaire. On peut s’unifier avec d’autres communautés en marginalisation pour améliorer des choses, donc reconnaître le fait que c’est une injustice qu’on vit et agir pour le contrer.
Laurie: Même si on se rejoint avec certaines personnes ou communautés par rapport à une partie spécifique de notre identité, ça ne veut pas dire pour autant qu’on incarne à tout prix l’entièreté de cette communauté-là.
Barbada: Ah ben c’est sûr que je fais partie de la communauté LGBTQ, que je sens qu’il y a une communauté autour de moi. Je le sais. Mais je réalise aussi que ma communauté LGBTQ, elle n’est pas parfaite non plus, on va se le dire. Désolée, mais le village, c’est pas le village LGBTQ, c’est le village GGGGGGGGGGGLBTQ+. Tu sais il y a peu d’offre pour autres que les hommes qui sont homosexuels alors je pense que ça c’est aussi des questionnements à faire. Ça ne veut pas dire que parce qu’on fait partie d’une communauté, qu’on peut pas la remettre en question, peut-être pas la remettre complètement en question, mais certainement la questionner. Et il faut la requestionner notre communauté, notre Village, tout ça. Moi je pense que c’est sain de questionner pourquoi il y a trois endroits qui vendent des harnais, des cockring, des affaires pour les hommes, qu’il n’y en a aucun pour les femmes parmi tout ça. Pourquoi? Pourquoi on a pas des bars de danseuses pour les lesbiennes par exemple? Mais on a trois bars de danseur nus. Il faut questionner notre communauté et dire il y a peut-être des choses qu’on fait depuis longtemps, que c’est peut-être pas la bonne chose, la bonne façon de le faire. Il faut être plus inclusifs, faut élargir nos horizons aussi et se remettre en question. Ça veut pas dire de se dénaturer, ça veut pas dire d’oublier le passé, ça veut juste dire d’avancer, de s’adapter. Puis je pense que c’est important, de le faire.
Laurie: C’est pas parce qu’on questionne une communauté qu’on renie son importance. En fait, c’est tout le contraire je trouve. Si on questionne nos communautés, c’est qu’on y a des bases assez solides et qu’on croit à leur valeur et à la capacité d’évoluer des gens qui la constituent. Quand on est en posture d’ouverture et qu’on considère d’égal.e à égal.e les gens qui nous entourent dans toute leur complexité, c’est justement, je trouve, une preuve de la solidité du lien qu’il y a de pouvoir prendre le risque de se challenger entre nous. Et je trouve que c’est sain de le faire.
Émilie Duchesne: « avec certaines personnes vous vous voyez pour ne rien faire, ou plutôt, pour ne rien faire d’autre que parler. ce qui se déplace, ce n’est pas vous dans la nature, mais les idées dans l’air. avec ces personnes les faits et les anecdotes ne bousculent pas les impressions, tu sais que l’expression de tes difficultés ne sera pas convertie en défaillance, tu sais que tu peux parler en lambeaux ou en fumée, que ça n’a pas à être total. avec ces personnes parler est un lieu sans image, vous discutez comme on alimente un feu, à perte. vous vous reconnaissez par vos façons de faire des liens, de sorte que même dans le désaccord vous vous comprenez (vous comprenez que si vous êtes disjoint c’est que vous suivez vos trajectoires de pensée, alors le désaccord apparaît comme une preuve de sérieux, il montre que lorsque vous vous rassemblez vous ne délaissez pas ce qui vous fonde, il montre que lorsque vous êtes d’accord,vous l’êtes sincèrement et pas pour plaire). » – Camille Readman- Prud’homme, Quand je ne dis rien, je pense encore aux éditions L’Oie de Cravan, p.44.
Sarah: Quand vous êtes venu.e.s au monde, je me souviens que je m’étais déjà mis dans la tête, avec les chansons que maman me faisait écouter, que les enfants ne nous appartiennent pas non plus. Tu sais. Puis que on est là juste de passage, puis que mon rôle c’est devenir inutile. Parce que vous avez tout ce qu’il faut pour voler de vos propres ailes et faire vos affaires. J’aime quand on se rassemble. Mais tu sais, j’ai pas ce besoin-là. À quoi est-ce que j’appartiens, à qui est-ce que j’appartiens? Moi, j’appartiens à l’univers. Puis, je fais de mon best. C’est vraiment ça. Ouais.
Laurie: Ouais, tu vois, ça, ta mère, a dit la même affaire.
Sarah: Pas vrai ! sérieux? C’est bien drôle,
Laurie: Elle dit les mêmes mots que toi: moi, j’appartiens à la vie, à la vie qui passe, elle dit la même affaire.
Sarah: Je vois à qui j’appartiendrais d’autre.
Maya A. Yampolsky: Quand on parle de l’attachement, comme la théorie de l’attachement, on sait déjà peut-être par les théories qui passent à travers les relations entre le parent et l’enfant. Donc quand on est un bébé puis nous avons des parents qui s’occupent de nous, qui répondent à nos besoins, qui sont là pour nous, n’importe quoi, on développe un attachement envers nos parents qu’on appelle un attachement sécure. Donc ça commence chez nous, mais ça se perpétue avec nos autres relations tout à travers notre vie. Donc le fait qu’on a un attachement sécure avec notre propre communauté culturelle, puis on a notre communauté qui est disponible pour nous, ça nous permet d’explorer notre monde autour de nous. Donc si on est, de mon côté, je suis indienne et juif et j’habite à Montréal qui a comme le côté comme anglophones et francophones, Canadien majoritaire et Québécois majoritaire. Et donc là, si j’ai mes propres communautés culturelles, j’ai des pairs avec qui je peux partager les expériences, avec qui je peux me tourner si jamais j’ai de la misère à me trouver dans la culture majoritaire. Si on est coupé.e.s de nos pairs, de nos propres communautés culturelles, on est désorienté.e.s, on a pas de points de repère.
Alexandra: Avoir des pairs qui peuvent te comprendre et te soutenir par leur connaissance de ta réalité, c’est essentiel pour être en mesure de naviguer le monde dans toute qu’est-ce qu’il y a d’inconnu et de parfois difficile. Il faut se sentir assez sécure, assez soutenu.e pour pouvoir se lancer dans la découverte, explorer, essayer des nouvelles affaires. Puis c’est essentiel pour découvrir nos propres forces et faiblesses.
Laurie: Dans mes premiers échanges avec Sébastien, j’ai été surpris de l’entendre dire qu’il ressentait pas vraiment ça, lui, le besoin d’appartenir à quoi que ce soit. J’ai été encore plus surprise quand ma mère et ma grand-mère m’ont dit exactement la même chose. Mais au fil des discussions, j’ai compris que tous les trois, en fait, ils savaient qui y’étaient et ne cherchaient pas leur place. Ils l’incarnaient tout simplement. Si au départ pour moi, la recherche de l’appartenance, ça me semblait pratiquement synonyme de découverte de soi, je me demande maintenant si c’est pas simplement une recherche de fondations assez solides pour se construire une individualité propre. S’il me fallait pas tout simplement aller consolider les différentes facettes de mon identité pour pouvoir me comprendre moi-même, puis me créer un sens de moi qui était cohérent.
Barbada: Je suis enseignant de musique au primaire aussi. Tu sais, on oublie souvent que les trois grands principes du programme d’éducation, c’est d’éduquer, donc d’apprendre, de faire apprendre des connaissances; de qualifier donc en bout de ligne, d’avoir un diplôme qui te permet de faire un travail, une qualification quelconque; mais c’est aussi de socialiser. Tu sais, quand on dit socialiser, ça veut dire d’apprendre à vivre en société. C’est ça de comprendre que tu n’es pas tout seul, t’es pas chez toi avec tes parents où par exemple t’es le centre de l’attention parce que t’es enfant unique. Je donne ça comme exemple. Là ici, il y a d’autres personnes qui ont des vécus différents. Apprendre ta place dans la société, avec des personnes qui ont un âge différent, qui vont peut-être t’amener des choses que tu connais pas. C’est ça socialiser. Et les cours d’arts, j’espère, en fait doivent, il faut que ça serve à ça, à aussi à socialiser, à apprendre aux jeunes à vivre en société, à s’ouvrir aux différences qu’iels vont rencontrer dans leur vie. Parce que Dieu sait que les jeunes, encore plus que nous, vont être confronté.e.s à ces différences-là, culturelles, ethniques, religieuses, mon Dieu, sexuelles, peu importe, il va en avoir de la différence. Iels vont y être confrontés. Alors il faut se servir de l’art pour les habituer à ça, puis à être ouverts et à savoir comment réagir quand iels vont être confrontés à cette différence-là. Quand on m’a proposé de joindre les deux carrières en faisant justement des heures du conte auprès des jeunes et tout ça, ben j’ai dit oui! Ça s’est fait un peu naturellement. Ça apporte de la couleur, ça apporte de la paillette, ça apporte une personne qui est théâtrale, qui va te lire les contes de façon super théâtrale, super imagée, qui va changer de costume en un instant, comme ça, pendant l’heure du conte. Puis à nouveau je suis pas en train de dire que c’est pas juste les drags qui peuvent faire ça, là. Je veux dire, plein de gens peuvent faire ça aussi, mais définitivement, ça ajoute tout cet aspect-là, coloré, le fun, ludique et théâtral.
Laurie: Je pense que je finirai jamais de vanter l’utilité de l’art et spécifiquement de la fiction pour nous faire allumer sur des petites parties de nous qu’on n’a pas eu la chance d’explorer dans notre propre contexte social et familial, mais aussi pour nous sensibiliser aux réalités des autres. Parce que trouver sa place, faut que ça se fasse en respectant celle des autres. Puis c’est drôlement plus facile de prendre en compte les réalités dont on connaît minimalement l’existence. Pis c’est encore plus important, si on est pile dans le moule, de s’ouvrir un peu à d’autres options.
Barbada: Des gens, je ne veux pas tomber dans les stéréotypes, mais tu sais, ils sont blancs cisgenre hétérosexuel, tu sais, ils sont peut-être pas dans la marge, alors ce questionnement-là se fait peut-être pas naturellement. Ou ils ont pas à le faire, ils ont pas à passer à travers. Alors que quand t’as passé des années à te questionner, ben à moment donné, quand tu tombes sur ton X là, mausus que t’es solide là tu sais? Ça peut prendre un certain temps, c’est vrai surtout, surtout pour les gens qui sont dans la marge. Mais mon dieu que quand tu le sais que t’es sur ton X là, il n’y a pas grand-chose qui peut t’atteindre après. Justement, Fourchon c’est exactement ça, tu sais, une vie à se questionner puis à dire je suis pas dans un groupe, je suis pas… Mais la journée, le moment, c’était pas la journée, mais le moment où il trouve son X là, quand je lis cette phrase-là, « connu enfin le plaisir de connaître sa place à table », là je, comme j’ai toujours un petit motton quand je lis cet extrait-là, j’ai toujours, toujours un petit motton parce que je sais ce que c’est d’avoir ce feeling-là, de se sentir sur son X, enfin. Ça vient me chercher beaucoup parce que c’est toujours, c’est, ce moment-là est tellement tellement ouf dans une vie là, de personne qui vit dans la marge quand tu le sais, que t’es à la bonne place pis que tu as découvert l’affaire ou les affaires qui te font tripper tellement que tu dis, là je suis à la bonne place. C’est tellement libérateur.
Maya A. Yampolsky: C’est de juste vivre le plaisir et de vivre. Comme disons, comme le ballroom scene, c’est bipoc, queer, la danse, la mode, comme l’esthétique… C’est de s’affirmer, de parler, de juste, comme vivre le party ensemble. Donc il y a beaucoup, beaucoup de souffrance qu’on vit avec la marginalisation, mais c’est aussi le fait… c’est pas comme si on ne peut jamais vivre le bonheur! C’est qu’on réclame notre bonheur et on se dit comme on est excellent.e.s comme tel.le.s. On est assez, puis on est, on est bien, on est comblé.e.s.
Alexandra: Quand Maya a dit ça pendant notre entrevue, je lui ai dit que ça serait sûrement notre conclusion, ce à quoi elle a répondu:
Maya A. Yampolsky: Cool!
Alexandra: On est fan! (rires) Dans cet épisode-ci, on est parti.e.s de nous-mêmes et de nos questionnements individuels, puis de notre réflexion par rapport à nos identités respectives. Mais à travers le chemin qu’on vient de faire, on peut juste s’apercevoir que ces questions-là sont immenses finalement, elles sont bien plus grandes que nous. Elles sont à la fois infiniment vastes et très intimes. Laurie, ta mère parlait d’univers, puis je trouve que ça fait qu’on sent à la fois petit.e.s, mais aussi au cœur d’un écosystème où on existe seulement en relation avec les autres. Genre les autres bibittes, puis la mousse, puis les champignons. Ok, je m’avance dans mes concepts de biologie que je connais peu, mais comprends-tu? (Rires)
Laurie: C’est très clair pareil je comprends tellement. Je trouve ça tellement vaste aussi, tellement trop gros pour justement qu’on puisse taper tous les trails puis que plus personne ait besoin de se chercher. Mais je me dis qu’on peut quand même tranquillement infuser nos sociétés d’assez de malléabilité pour que quand une personne fait mer et monde pour trouver qui elle est. bien, qu’elle puisse l’incarner le plus pleinement possible au sein de la société puis de tous les réseaux qui la composent. Puis qu’une fois solides dans nos connaissances de nous-mêmes, cette solidité-là puisse nous suivre pour qu’on puisse y revenir avec la confiance du retour au confort d’un réel chez soi. Aussi quétaine que cela soit.
Lecture par Émilie: « La revoilà, l’enfant perdue. Je ne suis plus une voix au bout du fil. Je suis là pour qu’on s’aime mieux, pour qu’on m’apprenne tout entière, telle que je suis réellement. Ils sont tous là. Je suis là. Je pense à cette petite enfant, qui voulait tant savoir ce qu’il y avait au bout de l’horizon. Je lui dis qu’au bout, il y en a toujours un autre. Ça ne finit jamais. Et c’est très bien ainsi. La famille danse. Je reste à la table de pique-nique, un crayon à la main. Une fois, une fille d’un village bordé par le fleuve a décidé de vivre enfin pour elle-même. » La fille d’elle-même, Gabrielle Boulianne-Tremblay, aux éditions Marchand de feuilles.
(Intermède musical)
Natasha Kanapé-Fontaine:
Nin u mishtik e tshemeshet shinit
Nika uapeten tshishkueinitakuak
Muk nika nanipaun
Nitapuetuaut Innut
Kie nitapueten uashkut
Nititan anite shipua
Kie anite e nutik
Je crois à la résistance
À la force des racines et des peuples
À la tension entre la terre et le ciel
Qui fait tomber la foudre
Je crois à la longévité des troupeaux
À l’amitié, à la danse des flocons de neige
Au début des tempêtes
J’appartiens aux rivières qui remontent
Et qui descendent le territoire
J’appartiens à la terre qui m’accueille
À celle qui me choisit
Laurie: Vous venez d’écouter le dernier épisode de la quatrième saison de toutEs ou pantoute. Si vous avez aimé cet épisode et la saison, partagez-les avec vos proches et votre communauté ou vos communautés. Ça nous aide énormément. Merci à Natasha Kanapé Fontaine pour les poèmes originaux que vous avez pu entendre. Merci à Sébastien Potvin et Maya Yampolsky pour avoir partagé leurs réflexions intimes et théoriques avec nous. Vous avez entendu des textes de Fanie de la Frêne, de Camille Readman-Prud’homme et de Gabrielle Boulianne-Tremblay lus par Émilie Duchesne, ainsi que la musique de Belle grand fille. Merci à nos familles biologiques et choisies pour leur apport direct ou indirect à nos propres réflexions et leur compréhension quand le podcast prenait toute la place dans nos esprits.
Alexandra: Éternellement merci à vous de nous avoir suivi toute la saison, encore une fois, dans tous nos délires, de nouvelles expérimentations techniques et de formats, et dans nos réflexions. C’est plus que jamais le temps de nous écrire sur nos réseaux sociaux, Facebook et Instagram ou par courriel au toutesoupantoute@gmail.com pour nous faire part de vos commentaires ou juste pour jaser de vos réflexions. Question qu’on continue de réfléchir nous aussi d’ici la prochaine saison.
Laurie: On vous invite aussi, si vous ne le faites pas déjà tout le temps, à écouter jusqu’à la fin de notre petite section de remerciements parce qu’elle mettre de l’avant le travail fait dans l’ombre par une équipe exceptionnelle sans qui on aurait pété au frette il y a six mois. Ielles ont littéralement rendu le projet possible. Aussi quétaine que cette phrase puisse sonner.
Alexandra: Vraiment, vraiment. Alors, pour une dernière fois de la saison, tout ou pantoute est créé, réalisé, produit et animé par Laurie Perron et Alexandra Turgeon. avec Jenny Cartwright, conseillère à la scénarisation et à la réalisation. Marie-Eve Boisvert, Laurie Perron et Alexandra Turgeon au montage, Sylvaine Arnaud à la conception sonore avec une musique originale d’Ariane Vaillancourt. À la recherche et la coordination, Alexe Allard, Ève-Laurence Hébert et Wina Forget. Promotion et gestion des médias sociaux par Melyssa Elmer. Illustration originale du balado par Odrée Laperrière et graphisme par Marin Blanc. Merci à vous toutes. La quatrième saison de toutEs ou pantoute a été rendue possible grâce au soutien financier du Conseil des arts et des lettres du Québec. Nous remercions le Conseil des arts du Canada de son soutien.