Transcription saison4, épisode 5

Amitiés au nord du 48e parallèle ; Carte-blanche à Marie-Andrée Gill

Isabelle: J’aime le mouvement. J’ai grandi, moi, à Brossard, ensuite, j’ai passé plusieurs années sur le Plateau Mont-Royal. Puis après ça, j’ai passé 24 ans en Abitibi pour ensuite aller à Sherbrooke. J’ai l’impression que mon identité me suit partout où je vais, mais qu’elle n’appartient pas à un espace. Je suis très, très reconnaissante d’avoir fait ces différents endroits-là et je sais que la personne que je suis aujourd’hui, c’est la somme de ces déplacements-là. Mais il n’y en a aucun que je choisirais. Pour l’instant en tout cas, que c’est là que j’arrête puis que j’arrête de bouger.

Alexandra: Mais tu t’es quand même arrêté en Abitibi pendant toute notre enfance, tu sais? Moi, je suis née à Montréal, mais mes frères sont nés à Amos et nous autres, ça nous a clairement créé un attachement à ce territoire-là, tu sais, de grandir là. Mais pour toi qui venait pas de là, c’était comment de débarquer en Abitibi, mi-vingtaine, enceinte, avec un bébé de deux ans?

Isabelle: Mon arrivée en Abitibi, ça, ça fait quand même 32 ans. Puis ça, c’était curieux comment, dans la même province, il y a quand même eu un choc culturel. Je pouvais pas imaginer que dans la même province, je me sentirais entre guillemets étrangère parce que j’avais pas le code social de cet endroit-là. Là, ça m’a pris un peu plus de temps à m’acclimater, mais j’ai trouvé des amiEs, des gens qui me ressemblaient et qui m’ont un peu accompagné dans la transition. Et peut-être c’est ça aussi, c’est de trouver des amiEs qui nous aident à s’adapter.

Laurie: Par rapport au lac, as-tu un sentiment d’appartenance à la région?

Maman de Laurie: Je suis fière d’être une fille du lac, mais aujourd’hui, je pense que je serais capable aussi de vivre ailleurs. Je serais peut-être pas enraciné très profond. Je vais peut-être être en Hydroponique, tu sais, pogne les racines, laisse les pas trop longtemps dehors de l’eau. Remet les ailleurs, ça se fait aussi, tu sais.

Émilie Duchesne: « Sur une carte topographique, l’Abitibi et le Lac-Saint-Jean se situent à la même hauteur: quarante-huitième parallèle Nord. Curieusement, aucune route ne les relie. L’Abitibi et le Lac-Saint-Jean sont aussi deux régions où les habitants développent des qualités intrinsèques analogues, comme s’il était possible de ressembler invariablement à tous les êtres vivants sur le même parallèle, qu’importe le continent. On s’imagine que la première rencontre de deux personnes originaires de là donne d’étonnants résultats, frères et sœurs de Latitude. » – La Garçonnière, Mylène Bouchard, La Peuplade.

Alexandra et Laurie: Ici Alexandra Turgeon et Laurie Perron. Vous écoutez toutEs ou pantoute

Alexandra: Saison quatre, épisode cinq : Amitiés au nord du 48ᵉ parallèle.

Natasha Kanapé Fontaine:

Quand je tombe

Je plonge au fond des mers

L’océan n’est pas le pire ennemi

Quand je tombe

Je disparais dans les clairières

Fuyant les jets de lumière

Là où je vais cueillir les baies pour mes remèdes.

Laurie: En introduction, vous avez entendu un texte qui aurait pu être écrit pour moi et Alex, ou plutôt pour nos deux groupes d’amis qui, aussitôt débarqués à Montréal, respectivement des alentours d’Alma et d’Amos, se sont rejoints dans le plus naturel des unions, puis qui ont fondé en plein cœur de Montréal, la ville d’Almos. Même si c’est une ville qui est dénuée de toute fonction géographique réelle (rires) Almos, ça a quand même vu naître pour vrai des amitiés durables et fortes, drôlement proches des amitiés d’enfance qui nous marquent un peu pour la vie.

Alexandra: Moi je suis pas né à Amos, comme les autres amiEs qui représentent avec moi la moitié d’Almos. Mais reste que l’Abitibi puis la ville d’Amos, en particulier les gens qui y sont, la façon de vivre, ça a été fondateur dans la personne que je suis aujourd’hui. Mais j’ai jamais voulu retourner faire ma vie en Abitibi après mes études. Puis des fois, je me demande si ça a peut-être à voir avec le fait que quand j’étais petite, quand j’ai grandi là, on n’avait pas encore des racines si profondes que ça. Tu sais, mes parents, ils ont été attachés à cette région-là. Mon père vit encore à Amos, mais comme dirait ma mère, on a de la misère à rester en place dans ma famille.

Isabelle: Aujourd’hui, je vois quand même que c’est quelque chose que j’ai transmis à mes enfants qui se déplacent eux aussi. Puis, quand je me déplace moi-même pour les voir à chaque coin du Québec, j’ai réalisé quand même d’où ça pouvait venir là. Mais je trouve ça beau de les voir se déplacer et faire un peu la même chose, aller sur un nouveau territoire, puis s’adapter bien et être heureux. Je pense que ça peut être une force.

Laurie: De mon côté, ma famille a toujours été au lac, autant du côté paternel que maternel. Puis je suis attaché à ma famille, c’est sûr, mais aussi au lieu en soit vraiment profondément. Je pense au terrain où j’ai grandi, à ses vignes, à ses arbres qui empêchent le terrain d’être érodé par la rivière, à la maison elle-même, tu sais. Puis le fait de vouloir y retourner, c’est quasiment une de mes seules certitudes dans la vie. Mes racines y sont vraiment là-bas, même si moi, je le suis plus. Et j’ai toujours pris pour acquis que c’était pareil pour ma mère. Mais pas tout à fait finalement.

Sarah: Vous êtes aussi tous partis, hein, fait qu’en quelque part, tu sais, mon attachement à la maison familiale et à la famille, bien là ça reste que c’est juste un bâtiment. Fait que je peux être ailleurs et me sentir autant attachée à vous autres qu’en restant ici étant donné que vous êtes plus là.

Alexandra: Ça fait comme partie d’identité toutEs ou pantoute de partir du fait qu’on est deux personnes qui ont grandi en régions éloignées.

Laurie: Comme le Lac Saint-Jean.

Alexandra: Et l’Abitibi.

Laurie: Puis qui sont partiEs en ville.

Alexandra: Et qui s’enracinent même dans une nouvelle région. Mais on a réfléchi beaucoup et parlé beaucoup de notre rapport aux lieux, aux rencontres qu’on y a faites et aux racines qu’on s’y est créées.

Laurie: Puis vu qu’on en a déjà parlé pas mal dans les saisons précédentes, et bien on a eu envie de donner le micro à d’autres pour l’épisode d’aujourd’hui, parce qu’on était quand même pas tannéEs d’en entendre parler!

Alexandra: Une passion.

Laurie: Donc Marie-André Gill, 36 ans, et son amie Corinne Asselin, 29 ans, sont originaires du Lac-Saint-Jean. Toutes deux des femmes ayant un parcours universitaire, elles ont choisi de s’installer en région puis d’être co-propriétaires d’un ancien presbytère pour en faire une colocation avec amiEs, ados et compagnie dans un petit village du Saguenay. Comme on est de grandes fans du travail de Marie-Andrée, on avait envie de lui confier un épisode en mode carte blanche. Puis, quand on lui a parlé du thème de l’appartenance, son premier réflexe a été de nous parler de sa colocation à Petit-Saguenay avec ses enfants et son amie Corinne. Elles ont donc enregistré tout ce qui suit ensemble, dans un petit racoin de leur presbytère où on les rejoint le temps d’une conversation entre amies, copropriétaires, colocs… bref, à elle de définir la nature de ce qui les unit.

Alexandra: Marie-Andrée Gill est mère, autrice, animatrice de balado, chargée de cours et chroniqueuse. Elle est Innue de la nation Pekuakamiulnuatsh. Son travail s’inspire du quotidien, du territoire et de la culture pop pour faire une transition vers un monde décolonial.

Marie-Andrée et Corinne: (son de préparation pour l’enregistrement et rires)

Marie-Andrée Gill: Souvent quand il faut que je raconte au monde pourquoi qu’on a acheté un presbytère puis comment on s’est rencontrés, tu sais, je fais tout le temps un peu la joke, mais c’est même pas tant une joke. On s’est vu genre trois fois, tu sais. Puis on a pris une brosse, puis après ça, on a acheté un presbytère. C’est un peu ça qui s’est passé quand même en vrai, mais mon instinct était vraiment sûr. J’étais comme c’est ça que je veux, je veux faire ça avec toi. Je sais que t’es sur la même longueur d’onde que moi. Puis notre histoire commence là.

Alexandra: Corine Asselin est originaire d’Alma, au Lac-Saint-Jean. Elle a fait ses études en sciences politiques à l’UQAM avant de s’installer à Petit-Saguenay. Elle travaille pour la municipalité de Petit Saguenay, tout en poursuivant sa maîtrise à distance à temps partiel. Elle s’intéresse à la fois au développement local et aux grands enjeux de notre époque. Ok, on vous laisse avec eux autres. Vous êtes vraiment entre bonnes mains, promis.

Corinne Asselin: On a jasé de littérature et de féminisme pis on est allé faire du ski, puis tu m’as invitée à souper chez vous. Puis c’est ça, on a bu du vin, puis on a entendu parler, mais c’est moi qui avais entendu parler qu’il y avait le presbytère du village qui se vendait. Puis on est allé le visiter une fois, puis deux fois, puis plusieurs fois avec du monde. Puis je me rappelle, des fois je me disais… j’avais peur un peu que tu chokes, puis des fois je te disais tu chokes tu? T’étais là, non toi? Non, je choke pas, ok! Puis c’est de même qu’on s’est rendus à un moment donné devant le notaire.

Marie-Andrée Gill: En plus la notaire était sûre qu’on était un couple , elle nous avait fait full de papiers. (rires)

Corinne Asselin: Pour que je m’occupe de tes enfants si tu mourais. (rires)

Marie-Andrée Gill: Tu sais, c’est quand même quelque chose de différent, tu sais, comme mode d’achat aussi, puis comme mode de vie. Mais tu sais, ça part sûrement de quelque part.

Corinne Asselin: Bien, en fait, ma mère m’a tout le temps donné le goût de voyager, puis elle m’a toujours raconté ses histoires. Puis je lisais un peu les correspondances qu’elle avait avec différentes personnes. Puis je savais tout au long de mon secondaire que j’allais bouger. J’étais à Alma, je viens du Lac-Saint-Jean, puis j’avais juste hâte de partir. J’avais hâte de partir. Puis le premier voyage que j’ai fait, c’était dans l’Ouest, un classique. J’ai vraiment vécu une expérience forte, j’ai rencontré des personnes et ça m’a un peu ouvert sur les possibilités de la vie. Puis quand je suis revenue, c’était 2012. Puis moi j’aime ça dire que je suis une enfant de 2012 fait que, à ce moment-là, j’étais en Sciences nat au Cégep d’Alma. Puis il y avait des lignes de piquetage, des grèves, des ramens collectifs qui s’organisaient. Puis je suis allée aux autobus à Montréal aussi. On a fait les manifs, tout ça, on a dormi dans des cégeps, dans les gymnases. Puis là, j’avais une idée en tête, c’était de déménager à Montréal. Il y a beaucoup de personnes en région qui vont étudier puis qui reviennent tout de suite après leurs études, puis qui voyagent beaucoup, qui retournent à toutes les fins de semaine, mettons. Moi, c’était plus : je voulais m’établir en ville, même au-delà des études, ça fait que je suis restée là presque dix ans. Évidemment, à travers ça, on avait une belle gang d’amiEs. En fait, on était très soudéEs, tout du monde du lac, puis on faisait des blagues, on disait qu’on avait des saisons, on disait que c’était comme si on était comme dans une télésérie. Puis chaque année d’école, c’était la saison. Puis il y avait tout le temps le souper Noël, c’était toute un peu, on se sentait vraiment comme dans une série. Puis à travers ça aussi, des fois, les étés bien, j’ai voyagé un peu en Gaspésie, puis dans différentes places, à Trois-Pistoles au Récif. Puis j’ai quand même vu aussi que ça existait en fait des maisons collectives, qu’on pouvait construire quelque chose, s’entraider, puis avoir un milieu de vie, c’est ça, qui était comme vivant. Donc j’ai tout le temps eu ça un petit peu dans l’idée. Puis là, un peu dans le sillage de la pandémie, comme bien d’autres, j’ai décidé de revenir en région. Puis j’ai eu l’opportunité dans le fond une opportunité d’emploi à Petit-Sag. Ça fait que ça comme choisi à ma place. Puis c’était une bonne chose parce que je suis revenue chez nous au Sag-Lac pour justement, tu sais dans le fond, incarner le changement que je voulais voir en région fait que dans les premières semaines premiers mois, je t’ai rencontré là, c’était c’était ça qui était ça, c’était ça qui se passait.

Marie-Andrée Gill: Moi c’est différent quand même de ton parcours aussi, tu sais, ce qui m’a amené icitte…

Corinne Asselin: Qu’est-ce qui t’a amené icitte? Raconte!

Marie-Andrée Gill: C’est ça, tu sais, en préparant tout ça, je me suis un peu posé la question. Dans mon village à Mashteuiatsh, qui est une communauté innue, j’avais un grand sentiment d’appartenance, tu sais, à Mashteu, mais je suis partie pour plein de raisons qui justement me disaient que mon implication qu’il y avait Mashteuiatsh, je pouvais peut-être la faire un peu ailleurs aussi. Ou en tout cas je voulais comme tester quelque chose de nouveau aussi.

Corinne Asselin: T’aurais pu faire ça, mais à plein d’autres places, ailleurs, tu sais.

Marie-Andrée Gill: Oui, c’est vrai. Et à cette époque là, moi j’étais enceinte de mon dernier garçon, Milo, ça fait genre treize ans. Puis je suis comme débarquée à l’Anse-Saint-Jean, sur le top d’une montagne. Puis il y avait une gang de granos qui restait là. Ha ha ha ha! Fait que c’est un peu ça qui s’est passé. C’est que dans le fond, moi, à Mashteuiatsh, je restais dans la maison à mon père, puis je vivais déjà une genre de colocation comme ça. Il y avait ma sœur qui était là, une de mes amies, j’avais mon cousin, j’avais mes enfants. On était comme une gang, c’était une grande maison, mais c’est pas tout le monde qui payait des loyers, nécessairement. Le monde rentrait, sortait, un peu et puis moi j’étais comme un peu la, je gérais un peu la patente tu sais, j’étais quand même un peu la petite mère. Fait que c’était déjà quelque chose, un mode de vie que j’aimais. Parce que justement, tu sais le matin quand tu te lèves, il y a tout le temps comme quelqu’un qui est là aussi. Il y a quelqu’un qui jouait avec les enfants, oh, il y a quelqu’un qui a fait le dîner, il y a quelqu’un qui a gratté l’escalier. Tu sais, des petites choses comme ça aussi que quand tu es mère monoparentale, tu sais, c’est quand même le fun de partager, tu sais. Puis moi aussi je partageais beaucoup. Dans le sens que, mettons, pour la bouffe, je faisais tout le temps des grosses bouffes pour tout le monde et je payais le loyer pour le monde aussi. Tu sais, des affaires de mêmes. Ça fait que c’est comme des ambiances de partage comme ça qui m’ont tout le temps appelée. Puis quand justement j’ai déménagé à L’Anse-Saint-Jean, j’ai retrouvé quand même cet aspect-là, que je vivais pas avec d’autres personnes, mais il y avait comme un esprit des années 70 qui était quand même dans cette communauté là. Tu sais, les gens vivaient chacun dans leur maison, mais tu sais, il y avait souvent des gens de passage qui venaient, pis il y avait comme une conscientisation des constructions alternatives, de mettre des trucs en commun. Tu sais, la communauté et tout ça, c’est quelque chose qu’à Mashteuiatsh, je retrouvais, mais sous des formes différentes. Puis ce que j’ai trouvé à L’Anse-Saint-Jean, ça me ressemblait quand même aussi beaucoup. Puis, malgré que je me sentais quand même coupable de partir de Mashteuiatsh parce que j’avais l’impression, puis j’ai encore l’impression que mon identité est beaucoup là, puis qu’il se passe beaucoup de choses, c’est ça, profondément au niveau identitaire, que c’est vraiment là que je me suis construit. Mais j’ai comme construit un autre type d’identité, sans renier la première, tu sais, en venant ici, puis aussi en essayant quelque chose de nouveau, là, je pense, tout simplement.

(Intermède musical)

Marie-Andrée Gill: Il y a toute l’identité innue aussi qui vient, qui m’a forgé et que quand je suis parti de Mashteuiatsh, je me disais bien, je suis en train d’abandonner ça, je suis en train de renier qui je suis, mais ça m’a pris du temps avant de comprendre, mais que mon identité innue, c’était pas dans les quinze kilomètres carrés de la réserve. Tu sais, c’était vraiment plus vaste que ça. Tu sais, le territoire Nitassinan tu sais que ça s’appelle notre territoire, tu sais, il couvre le Québec au complet, là, finalement à peu près là. Peu importe où ce que je suis, c’est dans dans le Québec ish, là, pas nécessairement selon les frontières qu’on connaît en ce moment, mais je suis chez nous, partout là, surtout dans la région icitte aussi, tu sais. Je sais qu’il y a un passé aussi qui m’appartient, qui est un peu partout dans la région pis qui est pas confiné à juste un petit carré de terre que le gouvernement a dit qu’il fallait qu’on reste là. Tu sais, ça fait que ça quand je l’ai compris, je me suis sentie un peu plus en paix. Tu sais, je sais que je peux le vivre partout, ça, malgré que la culture innue, bien la langue, tu sais, c’est comme quelque chose qui est plus difficile à pratiquer icitte au jour le jour. Tu sais que j’ai plus de difficulté à transmettre ça à mes enfants que si, mettons, je baigne dedans, c’est d’autres choses, mais ça j’ai fait ce choix-là. Puis à c’t’heure faut comme que je l’accepte, là.

Corinne Asselin: Tu sais des frontières, c’est une construction sociale et politique, puis les réserves encore plus là, puis c’est récent, puis on le sait, fait que c’est fou qu’on vive dans un monde où ce que tu sais, les choses sont mobiles dans un libre marché, mais les êtres humains, on est tout le temps confinés dans justement dans des frontières. Puis ça complique beaucoup dans le fond, notre notre mobilité et le fait que tu sais, on peut choisir, c’est ça où ce qu’on veut être et évoluer, qu’on n’ait pas cette liberté totale là en fait.

Marie-Andrée Gill: Ben oui, tu sais, on invente que ah la municipalité finie sur cette ligne-là. Tu sais y’a rien là ! (rires) Fait que moi aussi je pense que cette mobilité-là est comme importante à considérer aussi.

Corinne Asselin: Tantôt tu parlais de Lac versus le Sag, c’est vrai que quand on est ici, tu sais, moi j’étais une fille du Lac quand j’étais à Montréal. Je venais du Lac, je venais pas du Saguenay, mais c’est sûr que d’avoir habité loin, tu sais, pendant un bout, à un moment donné, tu dis bien tu sais, finalement, le Sag-Lac, on est des frères et soeurs, on est des voisins. J’ai pas trahi en étant ici au Saguenay, mais ça m’est déjà passé par l’esprit. Mais tu sais, finalement, je me sens quand même dans ma région. Pis je crois full à la collaboration aussi, là tu sais, entre les villages, puis entre les régions, puis de voir le Québec dans le fond comme autant de lieux à habiter et à découvrir. Puis mon sentiment d’appartenance, il est pas juste territorial, il est aussi beaucoup des amitiés vraiment fortes qui sont restées et qui font en sorte que quand je les vois ou bien on passe un moment, même s’il y a beaucoup de temps qui a passé, bien, tu sais, ça me rappelle une version de moi ou une époque, en fait, et je suis une grande nostalgique, ça fait que tu sais, c’est vraiment le fun de se sentir dans le fond bien, puis un sentiment d’appartenance là où on est accueilli. Où ce qu’on peut juste être nous-mêmes.

Marie-Andrée Gill: Oui, mais oui, mais justement tantôt tu disais ça que l’appartenance avait commencé avec une quête identitaire.

Corinne Asselin: Moi ça fait deux ans que j’ai une démarche de psychothérapie et ça, ça m’a vraiment aidé dans le fond à prendre du recul puis à essayer de comprendre un peu mon parcours de vie. Ce besoin de, je ne sais pas, de partir, de découvrir le monde. C’était un besoin de coupure aussi, tu sais, faut le dire, parce que je me reconnaissais pas nécessairement dans les possibilités qu’il y avait au Lac à ce moment-là et dans les trajectoires que peut-être le monde proche de moi prenait, fait que j’avais juste besoin de partir, puis de découvrir d’autres choses, puis d’apprendre à me construire. Puis j’ai pu me construire de cette façon-là. C’est mon identité à Montréal, dans des milieux queers, des artistes, des gens avec qui on pouvait parler de politique, de philo, de trucs que j’aurais peut-être pas pu développer non plus chez nous. Ça fait que c’est sûr que c’est pour ça que tu sais, Montréal, ça va toujours être un sentiment d’appartenance aussi. J’aime autant la ville que la campagne, tu sais. Je pense que c’est ça, j’ai ce sentiment d’appartenance facile, je m’attache beaucoup aux lieux, aux gens, puis j’ai envie d’entretenir ces relations-là et de continuer aussi à être mobile en fait sur le territoire, pour pas être cantonnée à un lieu, mais expérimenter différentes idées.

Marie-Andrée Gill: J’ai l’impression que c’est beaucoup dans le territoire. Tu sais, il y a quelque chose dans le relief qui, tu sais, avant ça, je m’identifiais vraiment plus au Lac, tu sais, j’ai même écrit un recueil qui parle du Lac. Tu sais, comme que je vante le Lac, comment il est beau et tout ça. Puis ici au Fjord, tu sais, je me sens comme, je me sens bien, entourée de montagnes. Tu sais, on dirait que c’est comme si c’est une couverte, là, autour de moi, comme si ça me protégeait. Puis c’est comme un sentiment assez diffus, mais tu sais qui fait partie, on dirait aujourd’hui d’une certaine identité. Tu sais, ces montagnes-là, des fois j’aime ça aller marcher, ou bien mettons, faire du ski sur ces montagnes-là. Puis quand tu sais, des fois, je m’en rappelle d’être allé à Mashteuiatsh, puis à aller faire du ski sur le Lac, puis j’étais comme ouin, c’est plate, là, tu sais. (rires) C’est long. Tu avances, puis j’ai toujours comme une petite peur de pogner un trou chaud qu’on appelle, ou une crevasse. Ça fait que ouais, il y a quelque chose vraiment dans le côté territorial qui a changé pour moi.

(Intermède musical)

Marie-Andrée Gill: le fait qu’on choisisse des habitations comme ça. En tout cas, moi je trouve que ça crée une sorte de protection aussi là, un petit cocon un peu à part des autres. Quand on a une histoire peut-être différente de quelqu’un qui serait né ici, mettons.

Corinne Asselin: Je pense qu’on peut développer justement un sentiment d’appartenance. Tu sais, des fois c’est un lieu, une communauté, c’est une ville, mais c’est aussi un peu dans les relations qu’on crée. Puis j’ai l’impression tu sais, j’ai habité longtemps à Montréal, j’adore Montréal, j’aime ça y retourner souvent. Puis j’ai vraiment développé un sentiment d’appartenance. Quand j’y retourne, j’ai l’impression de débarquer chez nous, vraiment. Mais en même temps, j’ai jamais réussi à tant m’intégrer parfaitement. Je pense que j’ai tout le temps comme fait une espèce de performance sociale pour essayer d’apprendre les codes. Tu sais, quand je suis arrivée, j’ai l’impression, j’avais l’air d’une fille de la région et il a fallu un peu que pas que je fasse mes preuves, mais qu’on s’adapte. Que ça soit par nos discours, mais aussi par notre style vestimentaire et tout ça. Tu sais, c’est ça, en région, on a le centre d’achat là, ça fait qu’on avait sûrement, tu sais, des modes qui étaient différentes. Ça fait que veut, veut pas, tu sais, comme t’essaies de t’intégrer dans un nouveau milieu et à certains égards tu y arrives. Mais tu sais, j’ai l’impression que depuis que je suis revenue ici, tu sais, je connais les codes. Puis je sens que je peux être comme moi-même. Je pense, malgré que maintenant tu sais, je pense qu’on détonne un peu là (rires), tu sais, dans le paysage villageois, dans le paysage régional. Mais tu sais, les régions ont beaucoup bougé, ont beaucoup évolué aussi depuis le temps, et je sens qu’on peut jaser avec les voisins. On vit vraiment comme une vie de village le fun. Puis tu sais, on est intéressées par le milieu et le milieu, sont contents de nous recevoir aussi, fait que c’est vraiment cool. Quand je suis arrivée ici, j’étais à Saint-Antoine, dans un rang à P’tit-Sag, le décor était incroyable, j’habitais toute seule. C’est le fun d’habiter toute seule parce que c’est ça, tu fais tout ce que tu veux et c’est ton milieu. Mais en même temps, tu sais, t’arrives le soir, puis t’es toute seule et il se passe rien, tu sais. Tandis qu’ici tu sais, quand on arrive, soit il se passe rien, soit bien il y a un souper, il y a des invités, t’as le choix de te joindre ou t’en aller dans tes espaces. Puis le presbytère, c’est pour ça qu’on a eu un coup de cœur, c’est qu’on a plusieurs chambres, puis les chambres ont leur salle de bain, bien pour la plupart. Ça fait que tu sais, on a toutes nos petits espaces où est-ce qu’on peut protéger un peu notre bulle privée, mais qu’on a les espaces collectifs, le terrain aussi pour partager quelque chose de plus collectif et social. Et ça, c’est vraiment enrichissant, je pense, et c’est une force. Puis je pense qu’au niveau du village aussi, ça dynamise quelque chose. Tu sais, les gens voient qu’il y a du monde qui ont pris le presbytère, puis ça bouge, puis veut, veut pas, ça amène une dynamique qui est différente, mais qui est le fun et qui a le droit d’exister aussi dans un village.

Marie-Andrée Gill: Tu vois que les gens sont curieux de ça quand même. Puis justement, tu sais, la blonde d’Alexis, tu sais mon garçon, je sais qu’elle se pose bien des questions, de savoir qui c’est qui joue quel rôle là-dedans, puis comment ça marche toutes ces affaires-là, c’est qui qui fait quoi? Mais tu sais, pour nous autres, c’est comme ben ordinaire, on vit notre petite vie ordinaire, puis simple, puis on fait du partage de tâches, puis on gère comme on peut et tout ça. Mais c’est sûr que tu sais, c’est ça, il faut mettre dans le contexte, c’est inhabituel dans un petit village, on est combien d’habitants ici, 630?

Corinne Asselin: 624, je pense le dernier recensement.

Marie-Andrée Gill: C’est ça, ça fait que c’est des milieux éloignés des grands centres. Tu sais, Chicoutimi, c’est à 1h15 d’ici, puis c’est la grande ville la plus proche. Des milieux comme ça, éloignés, on crée aussi une culture propre, là mettons. Ça fait que quand il y a des étranges qui arrivent ici puis qui amènent comme d’autres modes de pensée, ça peut un peu challenger le monde, mais en même temps, tu sais, le monde est super smath puis ouvert à ça aussi.

Corinne Asselin: Mais tu sais, ça fait en sorte qu’on peut incarner un nouveau modèle ou il y a des jeunes qui sont comme : hein, c’est bien cool tu sais, c’est différent de mon unité, mettons, plus familiale, privée, puis ça ouvre des possibilités aussi, des fois sur d’autres types de modes de vie là, qui sont aussi des fois plus en respect, d’avoir comme tu dis, oui, un safe space mais aussi au niveau peut-être environnemental, tu sais, de partager nos ressources.

Marie-Andrée Gill: C’est vrai,tu sais. Puis même économique là, aussi, tu sais. En ce moment, je veux dire acheter une maison, c’est tout qu’un projet, là, ça fait que, le fait que nous autres, on partage les coûts de ça, ça fait aussi que on peut comme appartenir à ça, tu sais, c’est ça, le temps qu’on veut. Puis en même temps, tu sais, pendant ce temps-là, on s’est pas non plus ruinées à essayer d’acheter une maison parce que c’est quand même vraiment intense, là, sinon.

(Intermède musical).

Marie-Andrée Gill: On peut se sentir chez nous, peu importe où, dépendamment aussi tu sais tantôt on l’a abordé, mais des relations aussi. Tu sais, c’est comme, qu’est-ce qu’on tisse comme relations, tu sais. Mettons, tu te ramasses dans un village que tu connais personne, t’es pas capable de te faire d’amiEs, tu sais, t’auras peut-être pas envie de rester là bien bien longtemps. Il y a quand même quelque chose qui se construit aussi dans le réseau, tu sais. Et j’en connais des gens qui viennent rester ici et qui n’arrivent pas à se créer un cercle, qui restent pas longtemps. Tu sais, c’est quand même une chance et un privilège de trouver d’autres êtres humains avec qui tu partages des valeurs, puis des philosophies, puis tu te fais du fun ou tu sais toutes ces affaires là, c’est vraiment précieux, ça fait que tu sais, on dirait que ce sentiment-là, c’est comme une sorte de privilège quand même, qu’on peut choisir où est-ce qu’on veut habiter.

Corinne Asselin: C’est un privilège aussi quand on pense que c’est ça, c’est pas tout le monde qui peut avoir le même choix que n’importe qui. Fait que d’avoir ce sentiment là en fait, qu’on peut explorer ou être où ce qu’on veut, c’est déjà un privilège. Je pense que c’est important de le reconnaître moi aussi. On a fait beaucoup de détours (rires), on s’est promenées partout dans le monde.

Marie-Andrée Gill: Oui, c’est un sujet qu’on pourrait vraiment parler longtemps, mais qui aussi en même temps, il se renouvelle. Tu sais, là, on parle de ça en ce moment et peut-être que l’année prochaine ou tu sais, dans cinq ans, dans dix ans, où est-ce qu’on va être avec notre projet de presbytère? Où avec tous nos idéaux aussi là-dessus? Parce que toute ça quand même est un peu un idéal, tu sais. Est-ce qu’on se fait un idéal, puis un moment donné, on va déjanter, déchanter, je sais pas trop comment on dit ça. Mais tu sais, c’est ça aussi là, c’est comme quelque chose qui est quand même assez mouvant.

Corinne Asselin: Puis il y a des enjeux aussi liés à ça, puis on avait pas assez de temps d’entrer là-dedans, mais je pense que pour moi, pour l’instant, ce qu’on vit, là, je l’apprécie vraiment. Je me considère vraiment chanceuse et je suis contente qu’on soit à Petit-Sag parce que j’ai l’impression qu’il y a plein de possibilités et qu’on va passer l’hiver à aller faire du ski aussi. (rires)

Marie-Andrée Gill: (rires) Ça te tente pas tout le temps!

Corinne Asselin: Non, c’est vrai, mais une fois que je suis dehors, ça me tente (rires). T’avais pas une soupe sur le feu?

Marie-Andrée Gill: Oui, c’est ça, hey moi, faut que j’y aille, faut que j’aille chercher… Voyons, m’occuper de ma bouffe parce que là c’est ça aussi, là c’est quand même le quotidien qu’on vit dans tout ça, là, ça fait que c’est ça. Fait que toi Coco, as-tu un petit mot de la fin?

Corinne Asselin: Bien, merci pour votre écoute. Puis si jamais ça vous tente de venir faire un tour à Petit-Sag, je travaille à municipalité. Le poste c’est le 3311, ça fait qu’appeler moi. (rires). Puis on cherche toujours des nouveaux colocs, envoyez-nous vos CV!

(Intermède musical)

Alexandra: Puis Laurie, as-tu envoyé ton CV à Corinne puis Marie-Andrée?

Laurie: Oui mets-en, il est dans un truck de Postes Canada avec celui de ma coloc puis de nos trois enfants. J’espère qu’il y a de la place pour nous cinq. (rires) En tout cas, ce qui est sûr, c’est que c’est vraiment le fun de voir ou d’entendre des exemples réels de gens qui concrétisent ce genre d’idée d’organisation-là que j’ai tout le temps en tête, mais qui reste un peu dans la catégorie des rêves ou des utopies. Pis j’aime ça me rendre compte que bien crime, je ne suis pas obligée de déménager en couple dans une maison préfabriquée pour que mes enfants puissent grandir bien quelque part. Des milieux de vie pour nos familles choisies, recomposées, biologiques, toute le kit, bien, ça se crée aussi entre amiEs, ça se fait de toutes les façons qu’on veut dans le fond. Puis maudit que ça fait du bien de se le faire confirmer une fois de temps en temps!

Alexandra: Vraiment, t’as raison. On a vraiment été inspiréEs par l’histoire de Corinne Asselin puis Marie-Andrée Gill, puis particulièrement par le caractère intentionnel de leur enracinement à Petit-Saguenay, puis des liens qu’elles ont choisi de créer là-bas. Puis vraiment, là, ç’a été un honneur de pouvoir partager la création de cet épisode-ci avec Marie-Andrée et Corinne. Merci.

Natasha Kanapé Fontaine :

À l’eau

Je dois

Ma respiration

Mon cœur battant

Mon sang battant

Mon corps battant

À la nage

Je traverse

Les rivières

La terre

Le Nutshimit

Anite nipit

Ekue tekuak

Nineneun

Nitei uetamitik

Nimik e pimikaut

Niau e aiatshimakak

Nipishkun

Niteshkamain

Shipua

Assi

Nutshimit

Quand je tombe

Je plonge au fond des mers

L’océan n’est pas le pire ennemi

Quand je tombe

Je disparais dans les clairières

Fuyant les jets de lumière

Là où je vais cueillir les baies pour mes remèdes.

Laurie et Alexandra: Vous venez d’entendre le cinquième épisode de la quatrième saison de toutEs ou pantoute: Amitiés au nord du 48ᵉ parallèle. Si vous avez aimé l’épisode, on vous invite à en parler autour de vous, à le partager sur les réseaux sociaux ou nous donner des étoiles sur les applications pour faire rayonner toutEs ou pantoute! Et si comme nous vous êtes obsédéEs par les questions de culture, d’identité, d’appartenance et de territoire, on vous invite à continuer à voyager en notre compagnie dans le prochain et dernier épisode de la saison. On parle de famille sous toutes ses formes et d’acceptation, de créativité et de racines. Avec la dragqueen Barbada et la chercheuse en psychologie Maya Yampolsky.

Merci énormément à Marie-Andrée Gill et à Corinne Asselin pour la conception et l’enregistrement de cet épisode spécial. Vous avez entendu un poème original, composé et lu par Natasha Kanapé Fontaine ainsi qu’un extrait du roman La Garçonnière de Mylène Bouchard, lu par Émilie Duchesne. Vous avez aussi entendu la musique d’Ambroise. L’illustration de l’épisode a été réalisée par Rosalie Gagnon. Merci à nos mamans Sarah Grenon et Isabelle Gagnon pour leur apport à nos réflexions et un merci spécial à Ève-Laurence Hébert pour l’aide à la production de cet épisode.

toutEs ou pantoute est créé, réalisé, produit et animé par Laurie Perron et Alexandra Turgeon. Avec Jenny Cartwright, conseillère à la scénarisation et à la réalisation, Marie-Eve Boisvert, Laurie Perron et Alexandra Turgeon au montage, Sylvaine Arnaud à la conception sonore avec une musique originale d’Ariane Vaillancourt. À la recherche et la coordination, Alexe Allard, Ève-Laurence Hébert et Wina Forget. Promotion et gestion des médias sociaux par Melyssa Elmer. Illustrations originales du balado par Odrée Laperrière, graphisme par Marin Blanc.

La quatrième saison de toutEs ou pantoute a été rendue possible grâce au soutien financier du Conseil des arts et des lettres du Québec. Nous remercions le Conseil des arts du Canada de son soutien.